Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus (y compris économiquement)

Article Laurent Barthélémy Il est bien sûr fait allusion dans le titre à l’ouvrage de Rod Dreher: «Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus- Le pari bénédictin» (Artège 2017) Egredere : Sors ! (Gen XII,1) – Panégyrique de saint Benoît prononcé par Bossuet dans une église de bénédictins, à Paris, un 21 mars, vers 1665. Cet exergue n’est pas celui du livre de Rod Dreher (qui, logiquement, emprunte le sien à la Règle de saint Benoît). Il nous a paru cependant bien refléter l’esprit de l’ouvrage. Au lecteur de juger. Le livre de Rod Dreher, qui s’adresse à des Américains, ne peut cependant pas laisser indifférent un lecteur chrétien européen. Il peut même le laisser perplexe. Non seulement il traite du conflit consubstantiel et irréductible entre l’Eglise et le monde, énoncé par Jésus-Christ lui-même, et dont Rome, puis la Chrétienté, puis l’Europe de plus en plus déchristianisée ont été le théâtre souvent tragique. Mais aussi il en appelle à saint Benoît, de facto père de l’Europe chrétienne depuis plus de 1500 ans et saint patron de l’Europe depuis Paul VI (bref Pacis Nuntius, 24 octobre 1964), bien qu’il n’y ait très probablement pas songé un seul instant à une telle postérité. Saint Benoît et ses disciples peuvent-ils faire pour l’Europe déchristianisée du XXIème siècle, d’une façon nouvelle, ce qu’ils ont fait (sans nécessairement le rechercher) pour les âges chaotiques qui succédèrent à la chute de l’ordre romain ? La réponse est peut-être dans une phrase de Valéry, qu’on trouve dans le livre de Dom Gérard (fondateur du Barroux), Demain la Chrétienté (Dismas 2008) livre qui traite exactement du même sujet que celui de Dreher. Paul Valéry (dans Tel Quel): «La véritable tradition dans les grandes choses n’est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait de tout autres en d’autres temps.» Ce premier article est suivi d’un autre, qui approfondit certains points: comment-etre-chretien-dans-un-monde-qui-ne-l-est-plus-rod-dreher-suite et enfin d’un troisième qui tente de récapituler les orientations contemporaines de l’Eglise sur la vie monastique et la vie des laïcs . Le sujet de Dreher est : «Quelles dispositions pratiques les chrétiens doivent-ils prendre dans l’organisation de leur existence, pour pouvoir transmettre à leurs enfants une vision du monde et des pratiques chrétiennes, sans qu’ils soient submergés par le relativisme athée et le matérialisme ambiants, voire l’anti-christianisme agressivement militant ? Et pour eux-mêmes pouvoir vivre en chrétiens dans un monde qui non seulement ne l’est plus mais multiplie les obstacles à une vie conforme à la foi chrétienne, notamment à la doctrine catholique.» La vie dans la Cité étant intimement liée à la vie économique, il n’est pas impertinent de proposer une recension de ce livre dans les colonnes de l’Association des Economistes Catholiques. Le titre original est «The benedict option : a strategy for christian in a post-christian nation» (Sentinel- Penguin Random House 2017). Dreher, chrétien étiqueté comme «journaliste conservateur engagé»[1], traite clairement des Etats-Unis et rien que des Etats-Unis. «Ce livre a été écrit par un chrétien américain pour un public américain», annonce-t-il. Il a cependant fait dernièrement une tournée en France pour la promotion de son livre et annoncer de vive voix ses recommandations et mises en garde : http://leparibenedictin.fr/?page_id=43 . En effet, si tout est loin d’être transposable, nombre de constats sont valables en Europe notamment en France, ou peuvent avoir valeur prophétique (concernant la poursuite de la déchristianisation active de la société, le durcissement et la multiplication des lois incompatibles avec la foi chrétienne par exemple). Le livre est préfacé par un journaliste indépendant, Yriex Denis, proche des «écologistes intégraux» (http://revuelimite.fr/accueil) qui écrit aussi dans L’incorrect, La Nef etc.) Le préfacier affirme qu’on trouve sans difficulté des résonances ou des correspondances entre les préoccupations étatsuniennes de Dreher et la situation du christianisme en Europe notamment en France. Nous serons un peu plus réservé, ayant dû faire des efforts d’immersion mentale dans la société américaine pour transposer certaines problématiques (celle des artisans pâtissiers qui refusent de faire des gâteaux de mariage pour des homosexuels par exemple, et les conséquences qu’ils en subissent ; ou, de façon plus classique, la vision américaine de la vie associative). Pour bien faire et éviter des contresens trop massifs, il faudrait relire au préalable Tocqueville, Sorman, Kagan, Revel, Howard Steven Friedman et quelques autres pour se replonger dans l’ambiance d’Outre-Atlantique. Encore une fois, il est possible que certaines situations actuelles aux USA soient des signes avant-coureurs pour la France. Un autre point peut être déroutant pour un catholique «monochromatique» (autrement dit fixé depuis longtemps dans tel ou tel courant de l’Eglise catholique) surtout s’il est plutôt «conservateur» (au sens de la sociologie du catholicisme) : l’éclectisme de Dreher. Non seulement son parcours personnel (qu’il n’est pas question de critiquer) l’a mis en contact avec de nombreuses variantes du christianisme, mais dans sa position actuelle il puise sans hésiter à toutes les sources qui lui semblent bonnes. La sagesse bénédictine en est une. Pour faire simple, on aurait attendu un tel livre d’un oblat bénédictin plus que d’un orthodoxe (russe en l’occurrence). Comme quoi la tunique du Christ a beau être divisée, elle n’en reste pas moins l’unique tunique du Christ. Tout chrétien européen, peut se sentir concerné et en mesure de commenter ce livre. C’est ce que nous allons tenter de faire. Se pose également la question de savoir si la référence à l’ordre de saint Benoît comme modèle analogique de survie chrétienne dans le monde paganisé d’aujourd’hui, est pertinente dans le cadre de ce livre. Autrement dit, si Rod Dreher a raison d’enrôler saint Benoît au service de sa cause, quelque noble qu’elle soit. A cela, seul un bénédictin peut répondre. N’étant pas bénédictin mais simple sympathisant, nous nous contenterons de renvoyer plus loin à quelques ouvrages de bénédictins ou déclarations pontificales sur le monachisme occidental. Présentons d’abord l’auteur (clé indispensable pour comprendre le livre), puis l’ouvrage, pour terminer par quelques commentaires, en passant par quelques considérations sur les aspects économiques des problèmes soulevés par Dreher. 1/ L’auteur Né … Lire la suite

30/11/2019 : “État et libertés face aux fractures sociales” réunion interne

Le matin, le Président de l’AEC, Pierre de Lauzun, s’est félicité du nombre et de la qualité des contributions reçues pour la réunion du jour ; le trésorier, Didier Maréchal, a indiqué avoir reçu une vingtaine de cotisations pour 2019, ne pas faire de relances individuelles et souhaiter un paiement des cotisations par virement, qui facilite sa tâche ; Pierre de Lauzun a dit envisager notre prochaine réunion, avec AG, au printemps (juin ?) 2020 ; informations et avis ont été échangés sur la publication des textes issus de la conférence Turkson (“Œconomicae et pecuniariae quaestiones”), qui pourrait se faire via AMAZON ou uniquement sur notre blogue ; informations et avis ont été échangés sur la possibilité d’organiser une réunion publique avec une autre association, comme Amitié-Politique (qui s’est rapprochée du PCD et est désormais présidée, après la démission de François de Lacoste-Lareymondie, par Guillaume Bernard, enseignant à l’ICES), les EDC ou PRO-PERSONA. L’appui de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, un colloque pourrait être organisé à Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, à Paris ou à Reims. À partir de 11 h 10, nous avons pu entendre successivement les présentations de Jean-Yves Naudet : Les pistes ouvertes par la doctrine sociale de l’Église (19′) ; Étienne Chaumeton : Pauvreté inégalités et redistribution (17′) ; Pierre Coulange : Corps intermédiaires (18′) ; François Schwerer : corps intermédiaires et communautarismes (16′).   Puis un échange entre l’auditoire et les intervenants s’est instauré pendant près de 45′, notamment sur les thèmes de la contrainte (justifiée ou non) exercée par l’État, du lien entre la sécularisation et la substitution de l’État à l’Église, de la notion d’inégalité (à remplacer par celle d’écart ?), assimilée à de l’injustice, de la famille et autres corps intermédiaires, de la sacralisation de l’État, concomitante avec une coupure d’avec Dieu, de la collaboration de l’Église avec l’État. Le déjeuner dans un restaurant voisin, le Guynemer, a duré plus longtemps que prévu. À ce sujet, le serveur (patron ?) nous a conseillé, pour la prochaine fois, de convenir d’une formule pour tous avec la brasserie, ce qui permettrait de réduire le coût (25 € / personne) et le temps de service. D’autres restaurants mieux notés par TRIP-ADVISOR sont également disponibles à 200 mètres.             À 15 heures, 3 nouveaux intervenants se sont succédé : Thierry Jallas : L’État est-il DSÉ-compatible ? (15′) ; Jacques Bichot : La politique familiale, un investissement (12′) ; François Facchini : Les retraites (15′). Nous n’avons pas entendu les présentations de Bernard Largillier (La rupture dans le mode d’intervention sociale), qui était retenu ailleurs, et de Christian Pradeau (L’agriculture, un secteur vital, révélateur des dons reçus et de nos mauvaises conduites), auquel nous avons demandé qu’il envoie son texte pour que nous puissions le lire avant qu’il nous en parle. Le débat qui a suivi, à partir de 15 h 45, s’est prolongé un peu au-delà de l’heure initialement prévue (16 h). Il a porté, notamment, sur le conflit entre notre conscience et la contrainte exercée par l’État, la (non-)corrélation entre niveau d’éducation et croissance. 17 personnes ont participé à la réunion : Jacques Bichot, Denis Chaigne, Étienne Chaumeton, Pierre Coulange, François Facchini, Thierry Jallas, Pierre de Lauzun, Jean-Didier Lecaillon, Gabriel de Longeaux, Hervé Magnouloux, Didier Maréchal, Daniel Michel, Jean-Yves Naudet, Stanislas Ordody, Christian Pradeau, François Schwerer, Xavier de Yturbe. Les articles seront diffusés sur le blogue de l’AEC, sous réserve d’accord préalable des auteurs.

30/11/2019 : “État et libertés face aux fractures sociales” réunion interne

Cette réunion s’est tenue le samedi 1/12/2019, de 10 h 30 à 16 h 15, salle 308, université Panthéon-Assas, 92 rue d’Assas à Paris. Le matin, le Président de l’AEC, Pierre de Lauzun, s’est félicité du nombre et de la qualité des contributions reçues pour la réunion du jour ; le trésorier, Didier Maréchal, a indiqué avoir reçu une vingtaine de cotisations pour 2019, ne pas faire de relances individuelles et souhaiter un paiement des cotisations par virement, qui facilite sa tâche ; Pierre de Lauzun a dit envisager notre prochaine réunion, avec AG, au printemps (juin ?) 2020 ; informations et avis ont été échangés sur la publication des textes issus de la conférence Turkson (“Œconomicae et pecuniariae quaestiones”), qui pourrait se faire via AMAZON ou uniquement sur notre blogue ; informations et avis ont été échangés sur la possibilité d’organiser une réunion publique avec une autre association, comme Amitié-Politique (qui s’est rapprochée du PCD et est désormais présidée, après la démission de François de Lacoste-Lareymondie, par Guillaume Bernard, enseignant à l’ICES), les EDC ou PRO-PERSONA. L’appui de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, un colloque pourrait être organisé à Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, à Paris ou à Reims. À partir de 11 h 10, nous avons pu entendre successivement les présentations de Jean-Yves Naudet : Les pistes ouvertes par la doctrine sociale de l’Église (19′) ; Étienne Chaumeton : Pauvreté inégalités et redistribution (17′) ; Pierre Coulange : Corps intermédiaires (18′) ; François Schwerer : corps intermédiaires et communautarismes (16′). Puis un échange entre l’auditoire et les intervenants s’est instauré pendant près de 45′, notamment sur les thèmes de la contrainte (justifiée ou non) exercée par l’État, du lien entre la sécularisation et la substitution de l’État à l’Église, de la notion d’inégalité (à remplacer par celle d’écart ?), assimilée à de l’injustice, de la famille et autres corps intermédiaires, de la sacralisation de l’État, concomitante avec une coupure d’avec Dieu, de la collaboration de l’Église avec l’État. Le déjeuner dans un restaurant voisin, le Guynemer, a duré plus longtemps que prévu. À ce sujet, le serveur (patron ?) nous a conseillé, pour la prochaine fois, de convenir d’une formule pour tous avec la brasserie, ce qui permettrait de réduire le coût (25 € / personne) et le temps de service. D’autres restaurants mieux notés par TRIP-ADVISOR sont également disponibles à 200 mètres. À 15 heures, 3 nouveaux intervenants se sont succédé : Thierry Jallas : L’État est-il DSÉ-compatible ? (15′) ; Jacques Bichot : La politique familiale, un investissement (12′) ; François Facchini : Les retraites (15′). Nous n’avons pas entendu les présentations de Bernard Largillier (La rupture dans le mode d’intervention sociale), qui était retenu ailleurs, et de Christian Pradeau (L’agriculture, un secteur vital, révélateur des dons reçus et de nos mauvaises conduites), auquel nous avons demandé qu’il envoie son texte pour que nous puissions le lire avant qu’il nous en parle. Le débat qui a suivi, à partir de 15 h 45, s’est prolongé un peu au-delà de l’heure initialement prévue (16 h). Il a porté, notamment, sur le conflit entre notre conscience et la contrainte exercée par l’État, la (non-)corrélation entre niveau d’éducation et croissance. 17 personnes ont participé à la réunion : Jacques Bichot, Denis Chaigne, Étienne Chaumeton, Pierre Coulange, François Facchini, Thierry Jallas, Pierre de Lauzun, Jean-Didier Lecaillon, Gabriel de Longeaux, Hervé Magnouloux, Didier Maréchal, Daniel Michel, Jean-Yves Naudet, Stanislas Ordody, Christian Pradeau, François Schwerer, Xavier de Yturbe. Les articles seront diffusés sur le blogue de l’AEC, sous réserve d’accord préalable des auteurs.

1/12/2018 : “Œconomicae et pecuniariae quaestiones”

Cette réunion s’est tenue le samedi 1/12/2018, de 10 h à 16 h 30, salle 505, université Panthéon-Assas, 92 rue d’Assas à Paris. Le matin, notre Président Pierre de Lauzun nous a parlé d’une réunion qu’il essaie d’organiser avec d’autres mouvements d’Église, vers novembre 2019, au cours de laquelle interviendrait le cardinal Turkson, préfet du dicastère pour le service du développement intégral. Ensuite, nous avons pu entendre successivement les présentations de – Pierre de Lauzun : “Les marchés financiers dans Œconomicae et pecuniariae quaestiones” (lien vers son texte), – Jean-Yves Naudet : “Fiscalité et dette publique dans Œconomicae et pecuniariae quaestiones” (lien vers son texte), – Jacques Garello L’après-midi, après un déjeuner très agréable pris dans un restaurant voisin, les intervenants suivants ont pu s’exprimer, dans cet ordre : – Guido Hülsmann “L’interventionnisme monétaire dans la Doctrine sociale de l’Église”. – Bernard Largillier “Évangélisation et développement économique” (lien vers sa présentation Word ; lien vers sa présentation pdf). – Stanislas Ordody “Proposition : le financement 4P” (lien vers sa présentation pdf; lien vers sa présentation PowerPoint). Après chaque intervention, des échanges très intéressants et animés ont eu lieu. Un enregistrement vidéo des présentations a été fait. Peut-être pourrons-nous le mettre en ligne ultérieurement, pour celles dont l’auteur a donné son accord, et sous réserve que nous aurons pu améliorer la très médiocre qualité du son. Deux autres exposés au moins avaient été prévus, mais leurs auteurs n’ont pas pu être présents : – Laurent Barthélemy sur “La financiarisation et ses dérives, dans Œconomicae et pecunairiae quaestiones”. – Jacques Bichot sur “Monnaie, crédit et la finance pour l’organisation de la vie en société”.

« Réformer l’économie et la finance : que propose l’Église aujourd’hui ? »

Ora et LaboraSont heureux de vous inviter à la conférence : Une année après la publication d’Oeconomicae et pecuniariae quaestiones par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et par le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral « Réformer l’économie et la finance : que propose l’Eglise aujourd’hui ? » Avec Son Eminence le Cardinal Peter TURKSON,Préfet du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral Mardi 28 mai 2019 à 20h15 Dans l’auditorium d’Axa, 25 avenue Matignon 75008 Paris Cette conférence sera précédée d’un cocktail à partir de 19h00 et suivie d’une table ronde à 21h15 avec : S. Em. le Cardinal Peter TURKSON François ASSELIN, président de la CPME Bertrand BADRE, CEO Blue like an Orange Sustainable Capital, ancien DG de la Banque Mondiale Denis DUVERNE, président du conseil d’administration d’Axa Philippe ROYER, président des EDC Animée par Anne de GUIGNE, journaliste au FIGARO Inscription obligatoire sur weezEvent https://www.weezevent.com/-1635 – Nombre de places limité Proclero

« État et libertés face aux fractures sociales » (réunion interne de l’AEC, le 1/12/2019)

Tel était le thème retenu par les membres de l’AEC pour leur réunion interne du 1er décembre 2019. Huit membres avaient préparé et envoyé un article à l’avance aux autres membres. Sept d’entre eux étaient présents à l’université Paris-II (Panthéon-Assas), rue d’Assas, où se tenait la réunion. Ils ont disposé de 15′ chacun, environ, pour présenter oralement au groupe les idées principales de leur texte. En fin de matinée, un temps d’échanges entre les 4 premiers orateurs et les auditeurs a donné lieu à des discussions pleines d’intérêt. L’après-midi, une séance de questions/réponses a suivi la présentation faite par les 3 derniers auteurs. Au cours des prochaines semaines, nous publierons sur ce blog les articles des auteurs ayant donné leur accord pour cela. Vous pourrez donc lire, probablement découpés en plusieurs parties, les textes d’au moins 4 membres de l’AEC : Jean-Yves Naudet : “Les pistes ouvertes par la doctrine sociale de l’Église”. Étienne Chaumeton : “Pauvreté inégalités et redistribution”. Thierry Jallas : L’État est-il « DSÉ-compatible » ? Jacques Bichot : La politique familiale, un investissement.

“Retraites des avocats : et pourquoi pas de la pure capitalisation ?”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 26/02/2020 sur Économie-Matin La diminution du nombre des affaires jugées, du fait de la grève des avocats, est catastrophique. La France était déjà un pays où la justice n’est pas rendue avec la promptitude qui serait souhaitable ; elle devient un cas de déni du droit des citoyens à obtenir des décisions dans des délais raisonnables et dans des conditions normales. Des personnes dangereuses restent en liberté faute d’avocat pour assurer leur défense ! Il faut donc trouver rapidement une issue au bras de fer actuel. Barreau, Banque de France, même sérénité ? Les avocats appartiennent à une profession en expansion rapide. Leur régime de retraite, qui fonctionne par répartition, avec deux étages (retraite de base et retraite complémentaire), bénéficie d’un rapport démographique (nombre de cotisants rapporté au nombre de retraités) particulièrement agréable : 65 000 cotisants pour 15 000 retraités, soit 43 pour 10. L’un des objectifs de la réforme en cours est de faire davantage participer les régimes démographiquement favorisés au financement de ceux qui sont lourdement défavorisés par l’érosion du nombre et de la proportion de leurs adhérents actifs (et donc cotisants). Cette réforme a des inconvénients pour ceux qui bénéficiaient d’une rente démographique : dura lex, sed lex. La Banque de France (BdF) présente une situation aux antipodes de celle de la CNBF (caisse nationale du barreau français) : 15 000 retraités pour 10 000 cotisants. Néanmoins, son régime n’a pas de souci particulier à se faire, car il fonctionne entièrement par capitalisation : il dispose de 14 Md€ de réserves ordinaires et 4,7 Md€ de réserves « spéciales », trésor sagement constitué au fil des ans, sans jamais céder à la tentation classique : demander moins de cotisations, et donc moins provisionner, en se disant « les suivants se débrouilleront ». Précisément la tentation à laquelle le barreau a succombé, en ne demandant pas jadis de faire fonctionner sa caisse de retraite en capitalisation, comme celle de la BdF. Le personnel de la BdF a eu la sagesse de se comporter en fourmi plutôt qu’en cigale à une époque où il était plus nombreux et avait moins de pensionnés à charge. Ne serait-il pas souhaitable que le Barreau suive, fut-ce tardivement, son exemple ? Pendant encore des années, peut-être même deux décennies, le nombre des avocats en activité dépassera très largement le double de celui des avocats retraités, ce qui permettrait d’accumuler des réserves confortables. Encore faudrait-il avoir le courage de demander la sortie du système national de répartition, et se contraindre ensuite à utiliser une bonne moitié des cotisations pour constituer des réserves dignes d’un régime en capitalisation. La situation actuelle ne peut pas perdurer : ou bien les avocats entrent avec toutes les autres professions dans le grand régime unique que concoctent laborieusement les amateurs qui essayent de nous gouverner, ou bien ils essayent de faire bande à part, comme la BdF l’a fait jadis, et ils deviennent le deuxième exemple français d’un régime de base en capitalisation. Peuvent-ils emprunter cette voie avec la même sérénité que nos banquiers centraux ? Hélas non, parce qu’ils s’y prennent nettement plus tard : s’ils s’étaient réveillés plus tôt, ils auraient pu accumuler des réserves environ dix fois supérieures aux maigres 1,7 Md€ économisés sans trop se donner de peine, en profitant de leur situation démographique favorable pour lever des cotisations très légères au regard de celles des « gros » régimes (CNAVTS et AGIRC-ARRCO). Le pour et le contre, le chien et le loup. Il n’est pas évident que le législateur autorise la CNBF à faire bande à part en passant à la capitalisation. Mais supposons que nos spécialistes de la défense des causes difficiles plaident si bien la leur qu’ils parviennent à convaincre le Gouvernement et le Législateur de leur donner le feu vert : « si vous voulez avoir un régime bien à vous, rien qu’à vous, allez-y, chers plaideurs, mais bien évidemment il s’agira d’un régime par capitalisation, et vous allez devoir pendant un certain nombre d’années cotiser beaucoup pour augmenter massivement vos réserves, confortables pour un régime en répartition, mais très insuffisantes en capitalisation. » Que faire ? Persévérer dans le grand dessein de l’autonomie, en adoptant une discipline librement consentie, contre laquelle il sera impossible de se battre, ou revenir se fondre dans le grand troupeau de la répartition, en ayant les avantages et les inconvénients qui s’y attachent ? Jean de La Fontaine a posé la question mieux que je ne saurais le faire : au chien « franche lippée », au loup « tout à la pointe de l’épée ». À vous de choisir ! Encore que, dans le paternalisme où nous baignons, il n’est même pas certain que l’on vous autorise à choisir la liberté. Mais que votre choix, qu’il soit ensuite validé ou non par le Parlement, s’effectue en pleine conscience : jusqu’à ce jour, vous espériez avoir le beurre (la sécurité de la « solidarité nationale ») et une bonne partie de l’argent du beurre (des cotisations modestes au regard des pensions), et voilà que cette agréable période a pris fin. C’est la vie. Powered By EmbedPress

“Retraites : une réforme bousillée par l’amateurisme des hommes politiques”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 6 décembre 2019 dans ÉconomieMatin. Télécharger la version pdf. Une fois de plus, la France subit une grève très pénible et dommageable parce que nos dirigeants ne sont pas à la hauteur. Réformer le système de retraites français est indispensable : il n’est ni juste, ni efficace. Mais comment des personnes qui ne savent ni comment fonctionnent les retraites par répartition, ni ce qui mérite d’être appelé « réforme », pourraient-ils organiser le changement institutionnel et notionnel de grande ampleur qui donnerait à la France une importante longueur d’avance sur les autres pays développés, tous plus ou moins en difficulté dans ce domaine ? Ils ne savent pas distinguer ce qui est réforme de ce qui est gestion La seule véritable réforme qui ait eu lieu en matière de retraites, dans notre pays, remonte à une époque particulièrement noire de notre histoire : 1941. Le régime par capitalisation mis en place en 1930 devait initialement investir les cotisations, puis se servir des intérêts, dividendes et plus-values de ces placements pour verser des pensions. Mais, pour verser immédiatement des rentes aux « vieux travailleurs salariés », les AVTS, le régime de Vichy décida d’utiliser directement les cotisations pour payer ces rentes. À la Libération, ce système (nommé « répartition » par la loi de 1941), fut maintenu. Ce faisant, l’État français ne fit pas cavalier seul : tous les pays développés créèrent un système de ce type, ex nihilo ou (comme la France) par transformation d’un système préexistant initialement prévu pour fonctionner en capitalisation. Depuis lors, de très nombreuses modifications eurent lieu, mais il s’est agi le plus souvent de simples changements de la valeur d’un ou plusieurs paramètres. Pour faire croire qu’ils faisaient quelque chose de vraiment nouveau, à chaque réglage paramétrique les gouvernements annoncèrent haut et fort qu’ils réformaient les retraites : cela faisait plus chic. Les commentateurs, et particulièrement les média, adoptèrent la terminologie « réforme », parce que cela donnait de la gravité à leur propos ou poussait à lire leurs articles. Il est vrai que certains réglages paramétriques bouleversèrent tellement la vie des gens que le mot « réforme » semblait se justifier. En France, l’instauration de la « retraite à 60 ans » par le parti socialiste arrivé au pouvoir en 1981 eut un impact énorme, mais techniquement il s’agissait surtout de la modification brutale du paramètre le plus important. Si l’on compare la retraite à une automobile, il ne s’est pas agi de remplacer un moteur thermique par un moteur électrique, ou un véhicule à roues par un engin volant, mais d’augmenter la cylindrée – ce qui eut pour effet de requérir beaucoup plus de carburant, c’est-à-dire de cotisations (et de déficit). Incapable de concevoir une véritable réforme des retraites, mais désireuse de se faire mousser, de montrer qu’elle agit et se préoccupe du bien-être des électeurs, la classe politique s’est donc mise à pratiquer les réglages paramétriques à la place des techniciens. La majorité proclame haut et fort qu’elle sauve le système, tandis que l’opposition affirme que ce n’est pas cela qu’il aurait fallu faire pour le bien du peuple. Mais l’opposition et la majorité se rejoignent sur un point : tous parlent de réforme, quitte à laisser certains commentateurs ajouter l’adjectif « paramétrique », parce qu’admettre qu’il s’agit d’un simple réglage du carburateur ou du remplacement de pneumatiques usés aurait poussé le bon peuple à se demander pourquoi politiser des actes de simple maintenance. L’expression « réforme paramétrique » découle ainsi d’une confusion entre la réforme, par essence structurelle, et la gestion, par essence paramétrique. Gouvernement et Parlement s’agitent tant et plus quand il s’agit de savoir s’il serait utile et juste de modifier le degré d’octane du carburant, dépossédant le personnel de direction de ses responsabilités. Et ils négligent totalement ce qui est leur devoir et leur vocation : s’occuper sérieusement, lorsque c’est réellement utile, de cet événement rare qu’est la réforme « systémique », adjectif tautologique qu’il faut ajouter puisque l’expression « réforme paramétrique » a tout embrouillé. Ils ne savent pas comment fonctionnent véritablement les retraites dites « par répartition » Bien évidemment, même le plus ignare des présidents de la République, des ministres, des députés et des sénateurs, sait qu’en répartition les cotisations de retraite ne sont pas investies pour préparer les futures pensions de ceux qui les versent, mais pour servir au mois le mois les pensions des personnes âgées – les anciens cotisants. Mais tout ce beau monde s’accommode fort bien de voir des droits à pension attribués au prorata de versements qui ne jouent aucun rôle dans la préparation des futures pensions. De l’argent est versé par les actifs aux retraités, il est dépensé, il n’en restera rien pour ceux qui le versent à titre de cotisation – mais le législateur a décidé que c’est la base de calcul des pensions futures ! Exit la sagesse populaire selon laquelle on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Exit surtout le savoir économique le plus basique, selon lequel la dépense qui prépare aujourd’hui la consommation espérée pour un avenir assez lointain, c’est l’investissement. Nos hommes politiques raisonnent et agissent comme si payer la retraite de nos anciens était un investissement capable de nous procurer une rente dans plusieurs décennies !!! Alfred Sauvy a essayé, dans les années 1960 et 1970, de faire comprendre aux Français une vérité toute simple : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Claude Sarraute, dans Le Monde, écrivit un billet disant à peu près ceci : j’ai cotisé, j’ai droit à une pension, je l’aurai, ne nous ennuyez pas avec vos propos déprimants relatifs à l’insuffisance de la natalité qui met en péril les retraites futures. Sauvy répliqua dans le même quotidien en expliquant que, ayant récemment pris sa retraite, il dépensait avec plaisir les cotisations vieillesse versées par la diva en activité, et qu’il n’en resterait rien quand elle s’arrêterait de travailler. Il ajoutait que, pour que Claude Sarraute ait une pension, il fallait que des enfants viennent au monde, se forment, aient un emploi, et lui versent (via une caisse de retraite) une partie de leurs … Lire la suite

“Retraites : les “comptes de fées” de la solidarité dressés par la DREES”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 8 juin 2019 sur Économie-Matin. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères sociaux (DREES) vient de publier l’édition 2019 de son étude Les retraités et les retraites, qui fait le point sur cet aspect important de la vie économique et sociale française. Ce volume de 272 pages est relayé, sur certains points, par des numéros de sa publication plus « grand public » Études et Résultats ; le numéro de juin a pour titre : Pensions de retraite : les dispositifs de solidarité représentent 16 % des montants versés. Ce « six pages », comme le gros volume dont il reprend une partie des résultats, est révélateur de la faiblesse conceptuelle qui obère hélas le travail statistique de grande ampleur réalisé par la DREES. Pour faire un travail statistique pertinent, il ne suffit pas de faire des calculs exacts, ni même de prendre toutes les précautions requises pour extrapoler à l’ensemble de la population les données recueillies sur des échantillons d’assurés sociaux. Il faut également que les catégories utilisées soient pertinentes du point de vie de l’analyse économique. Malheureusement, la DREES prend comme critère de ventilation des sommes perçues par les retraités « les principes de contributivité et de solidarité » employés couramment par le législateur, l’administration, et une grande partie des média, tous acteurs qui – en cette matière – ne font que réciter une fable « politiquement correcte » dont la consistance intellectuelle est voisine de zéro. Contributivité et solidarité selon le code de la sécurité sociale Voici ce qui est écrit à l’article L111-2 du Code de la Sécurité sociale, article auquel se réfère la DREES en affirmant que « le système de retraite français a plusieurs objectifs, [qui] relèvent des principes de contributivité et de solidarité » : « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité. Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, notamment par l’égalité entre les femmes et les hommes, par la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle, et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités. La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital. Elle suppose de rechercher le plein emploi. » Dans ce chef-d’œuvre de langue de bois législative, on remarquera d’abord l’absence de précisions quant au mot « répartition », ce qui est un comble puisque le législateur place « le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ». Or ce mot peut s’entendre dans un sens réduit, ou dans un sens large. Au sens restreint, il signifie que les cotisations vieillesse seront utilisées pour payer les pensions, et non pour investir, comme dans un fonds de pension. Au sens plein, il veut dire en sus que le calcul des droits à pension s’effectuera pour une bonne part au prorata des cotisations ainsi versées aux caisses de retraite et aussitôt reversées aux retraités. Le sens restreint ne pose pas de problème : de fait, sitôt encaissées par les caisses de retraite par répartition, les cotisations « vieillesse » sont reversées aux pensionnés. Mais c’est hélas le sens large qui est retenu de facto, en dépit de son absurdité économique, dénoncée jadis par Alfred Sauvy, fondateur et premier directeur de l’INED (Institut national d’études démographiques), qui expliquait : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants ». En versant des cotisations vieillesse, nous ne contribuons en aucune manière à notre avenir, nous permettons aux personnes âgées de vivre décemment : elles ne sortiront pas de leur tombe pour nous fournir des moyens de subsistance quand, à notre tour, nous serons âgés. Pour parler sérieusement de contributivité, il faudrait se référer à des cotisations ou contributions destinées aux enfants et aux jeunes, auxquels les pouvoirs publics demanderont ultérieurement de renvoyer l’ascenseur en payant pour les pensions de leurs aînés. On remarquera ensuite que le mot « contributivité » employée par la DREES ne figure pas dans cet article du début du code de la sécurité sociale. Le texte de loi parle de « contributions réparties équitablement entre les générations », sans préciser que telle contribution ouvre droit à telle prestation, ce qui est le principe d’un droit social contributif. La DREES ne trahit probablement pas l’esprit du texte de loi quant elle en déduit que seuls sont « contributifs » les droits à pension obtenus en versant une « contribution » sur ses revenus, mais il n’en reste pas moins que le législateur ne pose pas explicitement le « principe de contributivité » auquel se réfèrent la DREES, et bien d’autres organismes, ainsi que beaucoup de personnes physiques. Il est donc possible d’accorder au législateur, « à titre infiniment subsidiaire », selon la jolie formule des juristes, une sorte de bénéfice du doute : tous les parlementaires ne sont quand même pas idiots au point de penser que les actifs préparent effectivement leur propre pension en versant des cotisations immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités ; quelques-uns doivent bien se rendre compte que Sauvy avait raison. Les majorations de pension pour famille nombreuses La DREES distingue deux types de solidarité : « au sens strict », et « au sens large ». Selon elle, « ces deux conventions de calcul permettent de différencier les dispositifs dont la qualification ‘de solidarité’ ou le caractère ‘explicite’ peuvent être discutés ». Comme exemple de solidarité « au sens … Lire la suite