Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus (y compris économiquement)
Article Laurent Barthélémy Il est bien sûr fait allusion dans le titre à l’ouvrage de Rod Dreher: «Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus- Le pari bénédictin» (Artège 2017) Egredere : Sors ! (Gen XII,1) – Panégyrique de saint Benoît prononcé par Bossuet dans une église de bénédictins, à Paris, un 21 mars, vers 1665. Cet exergue n’est pas celui du livre de Rod Dreher (qui, logiquement, emprunte le sien à la Règle de saint Benoît). Il nous a paru cependant bien refléter l’esprit de l’ouvrage. Au lecteur de juger. Le livre de Rod Dreher, qui s’adresse à des Américains, ne peut cependant pas laisser indifférent un lecteur chrétien européen. Il peut même le laisser perplexe. Non seulement il traite du conflit consubstantiel et irréductible entre l’Eglise et le monde, énoncé par Jésus-Christ lui-même, et dont Rome, puis la Chrétienté, puis l’Europe de plus en plus déchristianisée ont été le théâtre souvent tragique. Mais aussi il en appelle à saint Benoît, de facto père de l’Europe chrétienne depuis plus de 1500 ans et saint patron de l’Europe depuis Paul VI (bref Pacis Nuntius, 24 octobre 1964), bien qu’il n’y ait très probablement pas songé un seul instant à une telle postérité. Saint Benoît et ses disciples peuvent-ils faire pour l’Europe déchristianisée du XXIème siècle, d’une façon nouvelle, ce qu’ils ont fait (sans nécessairement le rechercher) pour les âges chaotiques qui succédèrent à la chute de l’ordre romain ? La réponse est peut-être dans une phrase de Valéry, qu’on trouve dans le livre de Dom Gérard (fondateur du Barroux), Demain la Chrétienté (Dismas 2008) livre qui traite exactement du même sujet que celui de Dreher. Paul Valéry (dans Tel Quel): «La véritable tradition dans les grandes choses n’est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait de tout autres en d’autres temps.» Ce premier article est suivi d’un autre, qui approfondit certains points: comment-etre-chretien-dans-un-monde-qui-ne-l-est-plus-rod-dreher-suite et enfin d’un troisième qui tente de récapituler les orientations contemporaines de l’Eglise sur la vie monastique et la vie des laïcs . Le sujet de Dreher est : «Quelles dispositions pratiques les chrétiens doivent-ils prendre dans l’organisation de leur existence, pour pouvoir transmettre à leurs enfants une vision du monde et des pratiques chrétiennes, sans qu’ils soient submergés par le relativisme athée et le matérialisme ambiants, voire l’anti-christianisme agressivement militant ? Et pour eux-mêmes pouvoir vivre en chrétiens dans un monde qui non seulement ne l’est plus mais multiplie les obstacles à une vie conforme à la foi chrétienne, notamment à la doctrine catholique.» La vie dans la Cité étant intimement liée à la vie économique, il n’est pas impertinent de proposer une recension de ce livre dans les colonnes de l’Association des Economistes Catholiques. Le titre original est «The benedict option : a strategy for christian in a post-christian nation» (Sentinel- Penguin Random House 2017). Dreher, chrétien étiqueté comme «journaliste conservateur engagé»[1], traite clairement des Etats-Unis et rien que des Etats-Unis. «Ce livre a été écrit par un chrétien américain pour un public américain», annonce-t-il. Il a cependant fait dernièrement une tournée en France pour la promotion de son livre et annoncer de vive voix ses recommandations et mises en garde : http://leparibenedictin.fr/?page_id=43 . En effet, si tout est loin d’être transposable, nombre de constats sont valables en Europe notamment en France, ou peuvent avoir valeur prophétique (concernant la poursuite de la déchristianisation active de la société, le durcissement et la multiplication des lois incompatibles avec la foi chrétienne par exemple). Le livre est préfacé par un journaliste indépendant, Yriex Denis, proche des «écologistes intégraux» (http://revuelimite.fr/accueil) qui écrit aussi dans L’incorrect, La Nef etc.) Le préfacier affirme qu’on trouve sans difficulté des résonances ou des correspondances entre les préoccupations étatsuniennes de Dreher et la situation du christianisme en Europe notamment en France. Nous serons un peu plus réservé, ayant dû faire des efforts d’immersion mentale dans la société américaine pour transposer certaines problématiques (celle des artisans pâtissiers qui refusent de faire des gâteaux de mariage pour des homosexuels par exemple, et les conséquences qu’ils en subissent ; ou, de façon plus classique, la vision américaine de la vie associative). Pour bien faire et éviter des contresens trop massifs, il faudrait relire au préalable Tocqueville, Sorman, Kagan, Revel, Howard Steven Friedman et quelques autres pour se replonger dans l’ambiance d’Outre-Atlantique. Encore une fois, il est possible que certaines situations actuelles aux USA soient des signes avant-coureurs pour la France. Un autre point peut être déroutant pour un catholique «monochromatique» (autrement dit fixé depuis longtemps dans tel ou tel courant de l’Eglise catholique) surtout s’il est plutôt «conservateur» (au sens de la sociologie du catholicisme) : l’éclectisme de Dreher. Non seulement son parcours personnel (qu’il n’est pas question de critiquer) l’a mis en contact avec de nombreuses variantes du christianisme, mais dans sa position actuelle il puise sans hésiter à toutes les sources qui lui semblent bonnes. La sagesse bénédictine en est une. Pour faire simple, on aurait attendu un tel livre d’un oblat bénédictin plus que d’un orthodoxe (russe en l’occurrence). Comme quoi la tunique du Christ a beau être divisée, elle n’en reste pas moins l’unique tunique du Christ. Tout chrétien européen, peut se sentir concerné et en mesure de commenter ce livre. C’est ce que nous allons tenter de faire. Se pose également la question de savoir si la référence à l’ordre de saint Benoît comme modèle analogique de survie chrétienne dans le monde paganisé d’aujourd’hui, est pertinente dans le cadre de ce livre. Autrement dit, si Rod Dreher a raison d’enrôler saint Benoît au service de sa cause, quelque noble qu’elle soit. A cela, seul un bénédictin peut répondre. N’étant pas bénédictin mais simple sympathisant, nous nous contenterons de renvoyer plus loin à quelques ouvrages de bénédictins ou déclarations pontificales sur le monachisme occidental. Présentons d’abord l’auteur (clé indispensable pour comprendre le livre), puis l’ouvrage, pour terminer par quelques commentaires, en passant par quelques considérations sur les aspects économiques des problèmes soulevés par Dreher. 1/ L’auteur Né … Lire la suite