Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus (y compris économiquement)

Article Laurent Barthélémy Il est bien sûr fait allusion dans le titre à l’ouvrage de Rod Dreher: «Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus- Le pari bénédictin» (Artège 2017) Egredere : Sors ! (Gen XII,1) – Panégyrique de saint Benoît prononcé par Bossuet dans une église de bénédictins, à Paris, un 21 mars, vers 1665. Cet exergue n’est pas celui du livre de Rod Dreher (qui, logiquement, emprunte le sien à la Règle de saint Benoît). Il nous a paru cependant bien refléter l’esprit de l’ouvrage. Au lecteur de juger. Le livre de Rod Dreher, qui s’adresse à des Américains, ne peut cependant pas laisser indifférent un lecteur chrétien européen. Il peut même le laisser perplexe. Non seulement il traite du conflit consubstantiel et irréductible entre l’Eglise et le monde, énoncé par Jésus-Christ lui-même, et dont Rome, puis la Chrétienté, puis l’Europe de plus en plus déchristianisée ont été le théâtre souvent tragique. Mais aussi il en appelle à saint Benoît, de facto père de l’Europe chrétienne depuis plus de 1500 ans et saint patron de l’Europe depuis Paul VI (bref Pacis Nuntius, 24 octobre 1964), bien qu’il n’y ait très probablement pas songé un seul instant à une telle postérité. Saint Benoît et ses disciples peuvent-ils faire pour l’Europe déchristianisée du XXIème siècle, d’une façon nouvelle, ce qu’ils ont fait (sans nécessairement le rechercher) pour les âges chaotiques qui succédèrent à la chute de l’ordre romain ? La réponse est peut-être dans une phrase de Valéry, qu’on trouve dans le livre de Dom Gérard (fondateur du Barroux), Demain la Chrétienté (Dismas 2008) livre qui traite exactement du même sujet que celui de Dreher. Paul Valéry (dans Tel Quel): «La véritable tradition dans les grandes choses n’est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait de tout autres en d’autres temps.» Ce premier article est suivi d’un autre, qui approfondit certains points: comment-etre-chretien-dans-un-monde-qui-ne-l-est-plus-rod-dreher-suite et enfin d’un troisième qui tente de récapituler les orientations contemporaines de l’Eglise sur la vie monastique et la vie des laïcs . Le sujet de Dreher est : «Quelles dispositions pratiques les chrétiens doivent-ils prendre dans l’organisation de leur existence, pour pouvoir transmettre à leurs enfants une vision du monde et des pratiques chrétiennes, sans qu’ils soient submergés par le relativisme athée et le matérialisme ambiants, voire l’anti-christianisme agressivement militant ? Et pour eux-mêmes pouvoir vivre en chrétiens dans un monde qui non seulement ne l’est plus mais multiplie les obstacles à une vie conforme à la foi chrétienne, notamment à la doctrine catholique.» La vie dans la Cité étant intimement liée à la vie économique, il n’est pas impertinent de proposer une recension de ce livre dans les colonnes de l’Association des Economistes Catholiques. Le titre original est «The benedict option : a strategy for christian in a post-christian nation» (Sentinel- Penguin Random House 2017). Dreher, chrétien étiqueté comme «journaliste conservateur engagé»[1], traite clairement des Etats-Unis et rien que des Etats-Unis. «Ce livre a été écrit par un chrétien américain pour un public américain», annonce-t-il. Il a cependant fait dernièrement une tournée en France pour la promotion de son livre et annoncer de vive voix ses recommandations et mises en garde : http://leparibenedictin.fr/?page_id=43 . En effet, si tout est loin d’être transposable, nombre de constats sont valables en Europe notamment en France, ou peuvent avoir valeur prophétique (concernant la poursuite de la déchristianisation active de la société, le durcissement et la multiplication des lois incompatibles avec la foi chrétienne par exemple). Le livre est préfacé par un journaliste indépendant, Yriex Denis, proche des «écologistes intégraux» (http://revuelimite.fr/accueil) qui écrit aussi dans L’incorrect, La Nef etc.) Le préfacier affirme qu’on trouve sans difficulté des résonances ou des correspondances entre les préoccupations étatsuniennes de Dreher et la situation du christianisme en Europe notamment en France. Nous serons un peu plus réservé, ayant dû faire des efforts d’immersion mentale dans la société américaine pour transposer certaines problématiques (celle des artisans pâtissiers qui refusent de faire des gâteaux de mariage pour des homosexuels par exemple, et les conséquences qu’ils en subissent ; ou, de façon plus classique, la vision américaine de la vie associative). Pour bien faire et éviter des contresens trop massifs, il faudrait relire au préalable Tocqueville, Sorman, Kagan, Revel, Howard Steven Friedman et quelques autres pour se replonger dans l’ambiance d’Outre-Atlantique. Encore une fois, il est possible que certaines situations actuelles aux USA soient des signes avant-coureurs pour la France. Un autre point peut être déroutant pour un catholique «monochromatique» (autrement dit fixé depuis longtemps dans tel ou tel courant de l’Eglise catholique) surtout s’il est plutôt «conservateur» (au sens de la sociologie du catholicisme) : l’éclectisme de Dreher. Non seulement son parcours personnel (qu’il n’est pas question de critiquer) l’a mis en contact avec de nombreuses variantes du christianisme, mais dans sa position actuelle il puise sans hésiter à toutes les sources qui lui semblent bonnes. La sagesse bénédictine en est une. Pour faire simple, on aurait attendu un tel livre d’un oblat bénédictin plus que d’un orthodoxe (russe en l’occurrence). Comme quoi la tunique du Christ a beau être divisée, elle n’en reste pas moins l’unique tunique du Christ. Tout chrétien européen, peut se sentir concerné et en mesure de commenter ce livre. C’est ce que nous allons tenter de faire. Se pose également la question de savoir si la référence à l’ordre de saint Benoît comme modèle analogique de survie chrétienne dans le monde paganisé d’aujourd’hui, est pertinente dans le cadre de ce livre. Autrement dit, si Rod Dreher a raison d’enrôler saint Benoît au service de sa cause, quelque noble qu’elle soit. A cela, seul un bénédictin peut répondre. N’étant pas bénédictin mais simple sympathisant, nous nous contenterons de renvoyer plus loin à quelques ouvrages de bénédictins ou déclarations pontificales sur le monachisme occidental. Présentons d’abord l’auteur (clé indispensable pour comprendre le livre), puis l’ouvrage, pour terminer par quelques commentaires, en passant par quelques considérations sur les aspects économiques des problèmes soulevés par Dreher. 1/ L’auteur Né … Lire la suite

« État et libertés face aux fractures sociales » (réunion interne de l’AEC, le 1/12/2019)

Tel était le thème retenu par les membres de l’AEC pour leur réunion interne du 1er décembre 2019. Huit membres avaient préparé et envoyé un article à l’avance aux autres membres. Sept d’entre eux étaient présents à l’université Paris-II (Panthéon-Assas), rue d’Assas, où se tenait la réunion. Ils ont disposé de 15′ chacun, environ, pour présenter oralement au groupe les idées principales de leur texte. En fin de matinée, un temps d’échanges entre les 4 premiers orateurs et les auditeurs a donné lieu à des discussions pleines d’intérêt. L’après-midi, une séance de questions/réponses a suivi la présentation faite par les 3 derniers auteurs. Au cours des prochaines semaines, nous publierons sur ce blog les articles des auteurs ayant donné leur accord pour cela. Vous pourrez donc lire, probablement découpés en plusieurs parties, les textes d’au moins 4 membres de l’AEC : Jean-Yves Naudet : “Les pistes ouvertes par la doctrine sociale de l’Église”. Étienne Chaumeton : “Pauvreté inégalités et redistribution”. Thierry Jallas : L’État est-il « DSÉ-compatible » ? Jacques Bichot : La politique familiale, un investissement.

“Retraites des avocats : et pourquoi pas de la pure capitalisation ?”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 26/02/2020 sur Économie-Matin La diminution du nombre des affaires jugées, du fait de la grève des avocats, est catastrophique. La France était déjà un pays où la justice n’est pas rendue avec la promptitude qui serait souhaitable ; elle devient un cas de déni du droit des citoyens à obtenir des décisions dans des délais raisonnables et dans des conditions normales. Des personnes dangereuses restent en liberté faute d’avocat pour assurer leur défense ! Il faut donc trouver rapidement une issue au bras de fer actuel. Barreau, Banque de France, même sérénité ? Les avocats appartiennent à une profession en expansion rapide. Leur régime de retraite, qui fonctionne par répartition, avec deux étages (retraite de base et retraite complémentaire), bénéficie d’un rapport démographique (nombre de cotisants rapporté au nombre de retraités) particulièrement agréable : 65 000 cotisants pour 15 000 retraités, soit 43 pour 10. L’un des objectifs de la réforme en cours est de faire davantage participer les régimes démographiquement favorisés au financement de ceux qui sont lourdement défavorisés par l’érosion du nombre et de la proportion de leurs adhérents actifs (et donc cotisants). Cette réforme a des inconvénients pour ceux qui bénéficiaient d’une rente démographique : dura lex, sed lex. La Banque de France (BdF) présente une situation aux antipodes de celle de la CNBF (caisse nationale du barreau français) : 15 000 retraités pour 10 000 cotisants. Néanmoins, son régime n’a pas de souci particulier à se faire, car il fonctionne entièrement par capitalisation : il dispose de 14 Md€ de réserves ordinaires et 4,7 Md€ de réserves « spéciales », trésor sagement constitué au fil des ans, sans jamais céder à la tentation classique : demander moins de cotisations, et donc moins provisionner, en se disant « les suivants se débrouilleront ». Précisément la tentation à laquelle le barreau a succombé, en ne demandant pas jadis de faire fonctionner sa caisse de retraite en capitalisation, comme celle de la BdF. Le personnel de la BdF a eu la sagesse de se comporter en fourmi plutôt qu’en cigale à une époque où il était plus nombreux et avait moins de pensionnés à charge. Ne serait-il pas souhaitable que le Barreau suive, fut-ce tardivement, son exemple ? Pendant encore des années, peut-être même deux décennies, le nombre des avocats en activité dépassera très largement le double de celui des avocats retraités, ce qui permettrait d’accumuler des réserves confortables. Encore faudrait-il avoir le courage de demander la sortie du système national de répartition, et se contraindre ensuite à utiliser une bonne moitié des cotisations pour constituer des réserves dignes d’un régime en capitalisation. La situation actuelle ne peut pas perdurer : ou bien les avocats entrent avec toutes les autres professions dans le grand régime unique que concoctent laborieusement les amateurs qui essayent de nous gouverner, ou bien ils essayent de faire bande à part, comme la BdF l’a fait jadis, et ils deviennent le deuxième exemple français d’un régime de base en capitalisation. Peuvent-ils emprunter cette voie avec la même sérénité que nos banquiers centraux ? Hélas non, parce qu’ils s’y prennent nettement plus tard : s’ils s’étaient réveillés plus tôt, ils auraient pu accumuler des réserves environ dix fois supérieures aux maigres 1,7 Md€ économisés sans trop se donner de peine, en profitant de leur situation démographique favorable pour lever des cotisations très légères au regard de celles des « gros » régimes (CNAVTS et AGIRC-ARRCO). Le pour et le contre, le chien et le loup. Il n’est pas évident que le législateur autorise la CNBF à faire bande à part en passant à la capitalisation. Mais supposons que nos spécialistes de la défense des causes difficiles plaident si bien la leur qu’ils parviennent à convaincre le Gouvernement et le Législateur de leur donner le feu vert : « si vous voulez avoir un régime bien à vous, rien qu’à vous, allez-y, chers plaideurs, mais bien évidemment il s’agira d’un régime par capitalisation, et vous allez devoir pendant un certain nombre d’années cotiser beaucoup pour augmenter massivement vos réserves, confortables pour un régime en répartition, mais très insuffisantes en capitalisation. » Que faire ? Persévérer dans le grand dessein de l’autonomie, en adoptant une discipline librement consentie, contre laquelle il sera impossible de se battre, ou revenir se fondre dans le grand troupeau de la répartition, en ayant les avantages et les inconvénients qui s’y attachent ? Jean de La Fontaine a posé la question mieux que je ne saurais le faire : au chien « franche lippée », au loup « tout à la pointe de l’épée ». À vous de choisir ! Encore que, dans le paternalisme où nous baignons, il n’est même pas certain que l’on vous autorise à choisir la liberté. Mais que votre choix, qu’il soit ensuite validé ou non par le Parlement, s’effectue en pleine conscience : jusqu’à ce jour, vous espériez avoir le beurre (la sécurité de la « solidarité nationale ») et une bonne partie de l’argent du beurre (des cotisations modestes au regard des pensions), et voilà que cette agréable période a pris fin. C’est la vie. Powered By EmbedPress

“Retraites : une réforme bousillée par l’amateurisme des hommes politiques”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 6 décembre 2019 dans ÉconomieMatin. Télécharger la version pdf. Une fois de plus, la France subit une grève très pénible et dommageable parce que nos dirigeants ne sont pas à la hauteur. Réformer le système de retraites français est indispensable : il n’est ni juste, ni efficace. Mais comment des personnes qui ne savent ni comment fonctionnent les retraites par répartition, ni ce qui mérite d’être appelé « réforme », pourraient-ils organiser le changement institutionnel et notionnel de grande ampleur qui donnerait à la France une importante longueur d’avance sur les autres pays développés, tous plus ou moins en difficulté dans ce domaine ? Ils ne savent pas distinguer ce qui est réforme de ce qui est gestion La seule véritable réforme qui ait eu lieu en matière de retraites, dans notre pays, remonte à une époque particulièrement noire de notre histoire : 1941. Le régime par capitalisation mis en place en 1930 devait initialement investir les cotisations, puis se servir des intérêts, dividendes et plus-values de ces placements pour verser des pensions. Mais, pour verser immédiatement des rentes aux « vieux travailleurs salariés », les AVTS, le régime de Vichy décida d’utiliser directement les cotisations pour payer ces rentes. À la Libération, ce système (nommé « répartition » par la loi de 1941), fut maintenu. Ce faisant, l’État français ne fit pas cavalier seul : tous les pays développés créèrent un système de ce type, ex nihilo ou (comme la France) par transformation d’un système préexistant initialement prévu pour fonctionner en capitalisation. Depuis lors, de très nombreuses modifications eurent lieu, mais il s’est agi le plus souvent de simples changements de la valeur d’un ou plusieurs paramètres. Pour faire croire qu’ils faisaient quelque chose de vraiment nouveau, à chaque réglage paramétrique les gouvernements annoncèrent haut et fort qu’ils réformaient les retraites : cela faisait plus chic. Les commentateurs, et particulièrement les média, adoptèrent la terminologie « réforme », parce que cela donnait de la gravité à leur propos ou poussait à lire leurs articles. Il est vrai que certains réglages paramétriques bouleversèrent tellement la vie des gens que le mot « réforme » semblait se justifier. En France, l’instauration de la « retraite à 60 ans » par le parti socialiste arrivé au pouvoir en 1981 eut un impact énorme, mais techniquement il s’agissait surtout de la modification brutale du paramètre le plus important. Si l’on compare la retraite à une automobile, il ne s’est pas agi de remplacer un moteur thermique par un moteur électrique, ou un véhicule à roues par un engin volant, mais d’augmenter la cylindrée – ce qui eut pour effet de requérir beaucoup plus de carburant, c’est-à-dire de cotisations (et de déficit). Incapable de concevoir une véritable réforme des retraites, mais désireuse de se faire mousser, de montrer qu’elle agit et se préoccupe du bien-être des électeurs, la classe politique s’est donc mise à pratiquer les réglages paramétriques à la place des techniciens. La majorité proclame haut et fort qu’elle sauve le système, tandis que l’opposition affirme que ce n’est pas cela qu’il aurait fallu faire pour le bien du peuple. Mais l’opposition et la majorité se rejoignent sur un point : tous parlent de réforme, quitte à laisser certains commentateurs ajouter l’adjectif « paramétrique », parce qu’admettre qu’il s’agit d’un simple réglage du carburateur ou du remplacement de pneumatiques usés aurait poussé le bon peuple à se demander pourquoi politiser des actes de simple maintenance. L’expression « réforme paramétrique » découle ainsi d’une confusion entre la réforme, par essence structurelle, et la gestion, par essence paramétrique. Gouvernement et Parlement s’agitent tant et plus quand il s’agit de savoir s’il serait utile et juste de modifier le degré d’octane du carburant, dépossédant le personnel de direction de ses responsabilités. Et ils négligent totalement ce qui est leur devoir et leur vocation : s’occuper sérieusement, lorsque c’est réellement utile, de cet événement rare qu’est la réforme « systémique », adjectif tautologique qu’il faut ajouter puisque l’expression « réforme paramétrique » a tout embrouillé. Ils ne savent pas comment fonctionnent véritablement les retraites dites « par répartition » Bien évidemment, même le plus ignare des présidents de la République, des ministres, des députés et des sénateurs, sait qu’en répartition les cotisations de retraite ne sont pas investies pour préparer les futures pensions de ceux qui les versent, mais pour servir au mois le mois les pensions des personnes âgées – les anciens cotisants. Mais tout ce beau monde s’accommode fort bien de voir des droits à pension attribués au prorata de versements qui ne jouent aucun rôle dans la préparation des futures pensions. De l’argent est versé par les actifs aux retraités, il est dépensé, il n’en restera rien pour ceux qui le versent à titre de cotisation – mais le législateur a décidé que c’est la base de calcul des pensions futures ! Exit la sagesse populaire selon laquelle on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Exit surtout le savoir économique le plus basique, selon lequel la dépense qui prépare aujourd’hui la consommation espérée pour un avenir assez lointain, c’est l’investissement. Nos hommes politiques raisonnent et agissent comme si payer la retraite de nos anciens était un investissement capable de nous procurer une rente dans plusieurs décennies !!! Alfred Sauvy a essayé, dans les années 1960 et 1970, de faire comprendre aux Français une vérité toute simple : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Claude Sarraute, dans Le Monde, écrivit un billet disant à peu près ceci : j’ai cotisé, j’ai droit à une pension, je l’aurai, ne nous ennuyez pas avec vos propos déprimants relatifs à l’insuffisance de la natalité qui met en péril les retraites futures. Sauvy répliqua dans le même quotidien en expliquant que, ayant récemment pris sa retraite, il dépensait avec plaisir les cotisations vieillesse versées par la diva en activité, et qu’il n’en resterait rien quand elle s’arrêterait de travailler. Il ajoutait que, pour que Claude Sarraute ait une pension, il fallait que des enfants viennent au monde, se forment, aient un emploi, et lui versent (via une caisse de retraite) une partie de leurs … Lire la suite

“Retraites : les “comptes de fées” de la solidarité dressés par la DREES”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 8 juin 2019 sur Économie-Matin. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères sociaux (DREES) vient de publier l’édition 2019 de son étude Les retraités et les retraites, qui fait le point sur cet aspect important de la vie économique et sociale française. Ce volume de 272 pages est relayé, sur certains points, par des numéros de sa publication plus « grand public » Études et Résultats ; le numéro de juin a pour titre : Pensions de retraite : les dispositifs de solidarité représentent 16 % des montants versés. Ce « six pages », comme le gros volume dont il reprend une partie des résultats, est révélateur de la faiblesse conceptuelle qui obère hélas le travail statistique de grande ampleur réalisé par la DREES. Pour faire un travail statistique pertinent, il ne suffit pas de faire des calculs exacts, ni même de prendre toutes les précautions requises pour extrapoler à l’ensemble de la population les données recueillies sur des échantillons d’assurés sociaux. Il faut également que les catégories utilisées soient pertinentes du point de vie de l’analyse économique. Malheureusement, la DREES prend comme critère de ventilation des sommes perçues par les retraités « les principes de contributivité et de solidarité » employés couramment par le législateur, l’administration, et une grande partie des média, tous acteurs qui – en cette matière – ne font que réciter une fable « politiquement correcte » dont la consistance intellectuelle est voisine de zéro. Contributivité et solidarité selon le code de la sécurité sociale Voici ce qui est écrit à l’article L111-2 du Code de la Sécurité sociale, article auquel se réfère la DREES en affirmant que « le système de retraite français a plusieurs objectifs, [qui] relèvent des principes de contributivité et de solidarité » : « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité. Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, notamment par l’égalité entre les femmes et les hommes, par la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle, et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités. La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital. Elle suppose de rechercher le plein emploi. » Dans ce chef-d’œuvre de langue de bois législative, on remarquera d’abord l’absence de précisions quant au mot « répartition », ce qui est un comble puisque le législateur place « le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations ». Or ce mot peut s’entendre dans un sens réduit, ou dans un sens large. Au sens restreint, il signifie que les cotisations vieillesse seront utilisées pour payer les pensions, et non pour investir, comme dans un fonds de pension. Au sens plein, il veut dire en sus que le calcul des droits à pension s’effectuera pour une bonne part au prorata des cotisations ainsi versées aux caisses de retraite et aussitôt reversées aux retraités. Le sens restreint ne pose pas de problème : de fait, sitôt encaissées par les caisses de retraite par répartition, les cotisations « vieillesse » sont reversées aux pensionnés. Mais c’est hélas le sens large qui est retenu de facto, en dépit de son absurdité économique, dénoncée jadis par Alfred Sauvy, fondateur et premier directeur de l’INED (Institut national d’études démographiques), qui expliquait : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants ». En versant des cotisations vieillesse, nous ne contribuons en aucune manière à notre avenir, nous permettons aux personnes âgées de vivre décemment : elles ne sortiront pas de leur tombe pour nous fournir des moyens de subsistance quand, à notre tour, nous serons âgés. Pour parler sérieusement de contributivité, il faudrait se référer à des cotisations ou contributions destinées aux enfants et aux jeunes, auxquels les pouvoirs publics demanderont ultérieurement de renvoyer l’ascenseur en payant pour les pensions de leurs aînés. On remarquera ensuite que le mot « contributivité » employée par la DREES ne figure pas dans cet article du début du code de la sécurité sociale. Le texte de loi parle de « contributions réparties équitablement entre les générations », sans préciser que telle contribution ouvre droit à telle prestation, ce qui est le principe d’un droit social contributif. La DREES ne trahit probablement pas l’esprit du texte de loi quant elle en déduit que seuls sont « contributifs » les droits à pension obtenus en versant une « contribution » sur ses revenus, mais il n’en reste pas moins que le législateur ne pose pas explicitement le « principe de contributivité » auquel se réfèrent la DREES, et bien d’autres organismes, ainsi que beaucoup de personnes physiques. Il est donc possible d’accorder au législateur, « à titre infiniment subsidiaire », selon la jolie formule des juristes, une sorte de bénéfice du doute : tous les parlementaires ne sont quand même pas idiots au point de penser que les actifs préparent effectivement leur propre pension en versant des cotisations immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités ; quelques-uns doivent bien se rendre compte que Sauvy avait raison. Les majorations de pension pour famille nombreuses La DREES distingue deux types de solidarité : « au sens strict », et « au sens large ». Selon elle, « ces deux conventions de calcul permettent de différencier les dispositifs dont la qualification ‘de solidarité’ ou le caractère ‘explicite’ peuvent être discutés ». Comme exemple de solidarité « au sens … Lire la suite

“Retraites : Encore un effort, Monsieur Delevoye !”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 24/07/2019 sur ÉconomieMatin La publication des Préconisations pour un système universel de retraites, le 18 juillet 2019, sous la responsabilité de Jean-Paul Delevoye, précise le projet de réforme annoncé par Emmanuel Macron dès sa candidature à la présidence de la République. Ce projet peut certes encore évoluer à la marge, mais les grandes orientations sont désormais fixées. 1/ Jean-Paul Delevoye a raison quand il constate que « personne ne peut garantir l’avenir de sa profession », si bien que les régimes de pension par répartition destinés à des professions spécifiques constituent une erreur à corriger. En revanche, les professions peuvent sans problème se doter de régimes spécifiques par capitalisation ; c’est même hautement recommandable. Pour la répartition, un régime universel est nécessaire ; mais comment doit-il fonctionner ? 2/ Jean-Paul Delevoye préconise d’attribuer les droits à pension sous forme de points, comme cela se pratique à l’ARRCO-AGIRC et dans divers autres régimes. Là encore, il a raison : le point est un instrument qui permet de gérer simplement et facilement le système de retraites, en faisant évoluer la valeur de service du point de manière à préserver l’équilibre financier à court terme, et son prix d’acquisition pour prévenir les problèmes à long terme. 3/ Jean-Paul Delevoye a compris que « dans un régime par répartition, les pensions versées aux retraités sont financées par les cotisations payées par les actifs au même moment ». Dont acte. Mais il n’a pas tiré de ce constat la conséquence qui s’impose : pour que des pensions correctes soient versées dans vingt, trente, cinquante ans, il est indispensable qu’aujourd’hui naissent en nombre suffisant et soient convenablement éduqués celles et ceux qui cotiseront alors. Autrement dit, il n’a pas compris le message pourtant limpide qu’Alfred Sauvy délivrait dans les années 1970 : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». 4/ Il s’accroche de ce fait à une vielle lune : « à carrière identique, des droits identiques ». Il n’a pas compris que nous vivons dans une économie où l’investissement dans ce que les économistes appellent « le capital humain » est le facteur déterminant des pensions futures. Les pensions sont en quelque sorte le dividende versé par celles et ceux qui ont antérieurement bénéficié d’un investissement dans leur capital humain. Un beau parcours professionnel ne constitue pas une raison valable pour bénéficier d’une forte pension : en répartition, la pension ne doit pas être le prolongement automatique du salaire, mais le dividende tiré d’un investissement dans les nouvelles générations. Autrement dit, les points doivent être attribués en fonction de ce que chacun fait pour que la jeunesse soit suffisamment nombreuse et bien préparée à prendre le relais. 5/ En particulier, Jean-Paul Delevoye n’a pas compris le rôle que jouent dans le système de pensions les mères et les pères de famille. Il en est resté à l’idée absurde selon laquelle attribuer des points en fonction des enfants que l’on élève est une mesure de « solidarité », c’est-à-dire d’aide à ces « pauvres ballots » qui n’ont pas compris que la stratégie individuellement gagnante sur le plan pécuniaire est DINK, Double Income No Kid (deux salaires, pas d’enfant), comme le dit l’économiste Michel Godet. Un haut-commissaire qui prend pour une sorte d’aumône le juste retour sur l’investissement réalisé dans la jeunesse ne peut évidemment pas proposer une réforme adéquate des retraites, c’est-à-dire un fonctionnement équitable de l’échange entre générations successives. Ce fonctionnement équitable peut se schématiser ainsi : durant un temps, actuellement une bonne vingtaine d’années en moyenne, les membres de la jeune génération bénéficient d’un apport en provenance de leurs aînés, puis ensuite ils versent à ceux-ci le dividende de leur investissement, sous forme de cotisations vieillesse destinées à être transformées en pensions et en prise en charge de soins médicaux et de nursing. 6/ La formule phare du rapport du Haut-commissaire est : « Le système universel repose sur une logique d’équité : à carrière identique, des droits identiques ». Cette formule illustre l’ignorance du fonctionnement économique des retraites par répartition. Le maintien d’un niveau de revenu au terme d’une vie professionnelle bien remplie n’est pas un droit en soi, mais le résultat d’un investissement suffisant dans la génération suivante. Le Haut-commissaire a raison de dire « c’est la confiance dans le pacte entre les générations, au fondement de notre système en répartition, qu’il faut rétablir ». Mais ce pacte n’a rien à voir avec le principe actuel d’attribution des droits à pension, à savoir : « puisque nous avons cotisé pour nos anciens, vous, les jeunes, devez cotiser pour nous ». Le seul pacte économiquement rationnel est : « puisque nous vous avons mis au monde, entretenus, formés, rendus capables de produire efficacement biens et services, vous devez cotiser pour nous ». 7/ L’absence de réflexion économique cohérente conduit le Haut-commissaire à vouloir continuer à traiter la maternité de manière humiliante et injuste. Il est en effet prévu (p. 20) « les périodes de congé de maternité donneront lieu à acquisition de points au 1er jour d’arrêt sur la base du revenu de l’année précédente ». Autrement dit, donner naissance à un enfant rapportera beaucoup plus de points à une femme cadre supérieur qu’à une ouvrière ou une employée, à une travailleuse à plein temps qu’à une travailleuse à temps partiel, alors que le service rendu au système de retraites par répartition est le même. Quant à la femme au foyer, rien n’est prévu pour elle ; son enfant n’aura-t-il aucune utilité pour le pays ? Le mépris pour le principe républicain d’égalité se combine avec le mépris pour la femme au foyer ! 8/ Le taux de cotisation applicable dans le régime unique a d’ores et déjà été fixé pour les salariés : 28,12 %. Quelle précision pour des « préconisations » encore adaptables ! Il est aussi prévu que cette cotisation sera patronale à 60 % et salariale à 40 % : il est ainsi préconisé de ne … Lire la suite

“Qui pour gérer nos retraites ?”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot, rédigé le 25/02/2020 La retraite est chose trop sérieuse pour être confiée à l’État ou aux partenaires sociaux ; faisons-la gérer par une institution analogue à la Banque de France. Les récents développements relatifs à la réforme des retraites montrent l’incompétence des deux catégories d’acteurs classiquement mis à contribution pour gérer ou réformer les retraites de notre malheureux pays : En ce qui concerne les hommes politiques, leur méconnaissance du sujet, leur caractère superficiel et brouillon, joins à leur incapacité à trouver parmi eux des personnalités pour prendre en main cette réforme d’une extrême importance, ne permettent pas de leur faire Pour ce qui est des syndicats, en dehors de leur capacité à rendre difficile la vie des citoyens, et particulièrement des travailleurs, aucun talent ne se manifeste. Côté patronat, l’énergie se concentre sur l’endiguement des charges sociales ; les idées novatrices ne fusent guère. Qui donc pourrait prendre en main cette réforme en ayant la capacité de la finaliser et de superviser la gestion du système qui en résultera ? L’idée que je soumets – le recours à la Banque de France (BdF) – est surprenante à première vue, et difficile à faire admettre par les politiciens, mais elle pourrait nous sortir du pétrin où les acteurs des deux catégories précitées nous ont précipité. Nommons France Retraites l’organisme chargé de faire fonctionner, pour la France entière, un système unique de retraites par répartition. Il s’agit de savoir comment France Retraites devrait fonctionner et être dirigée pour que notre pays cesse enfin d’être contraint deux fois par décennie de pratiquer une réformette de son système de retraites en espérant que ses effets lui permettront de tenir encore quelques années. France Retraites doit être une institution indépendante, du même type que la Banque de France avant la création de la BCE La Banque de France (BdF) a déjà fondé un régime de retraites : c’était en 1808, soit 8 années après sa création par le Premier Consul. Devenu Empereur, Napoléon signa le 16 janvier 1808 un décret dont l’article 23 institue une « caisse de réserve » pour les employés de cette banque. Cette caisse existe toujours ; les salariés de la BdF sont les seuls de notre pays à ne pas avoir de retraite par répartition : ils ont conservé une véritable retraite par capitalisation, qui leur suffit largement. Leur caisse verse actuellement des pensions à 15 000 retraités, alors qu’elle n’a plus que 10 000 adhérents ; pour autant elle ne demande rien à personne, car elle dispose de 14 Md€ de réserves, auxquelles semble s’ajouter une « réserve spéciale » atteignant 4,7 Md€. N’ayant pas recours à la répartition, cette institution satisfait à la condition de neutralité pour superviser la réforme des caisses qui la pratiquent. Elle peut analyser sereinement le fonctionnement de la répartition en France, et constater qu’elle constitue une forme abâtardie de capitalisation, fonctionnant grâce au capital humain, mais sans que le droit positif le reconnaisse. Cette situation hors du champ de la réforme est très intéressante stratégiquement pour organiser ladite réforme sans éprouver la gêne inhérente au fait de changer les règles d’un jeu dont on est soi-même acteur : un observateur non impliqué est bien plus à l’aise pour voir objectivement ce qui va et ce qui ne va pas, ce qu’il faut conserver et ce qui doit être changé. Cerise sur le gâteau, à la différence des partenaires sociaux et des hommes politiques la BdF n’a pas développé de tendance à parler de réforme chaque fois qu’il faut effectuer un réglage paramétrique ; il se trouve certainement en son sein des personnes capables de faire la distinction entre une réforme (systémique) et un ajustement (paramétrique). France retraites devra être construite en respectant des principes analogues à ceux qui ont fait de la Banque de France une institution indépendante du pouvoir politique et des organisations syndicales et patronales. Cette indépendance la mettra dans une position radicalement différente de celle qu’occupe aujourd’hui le système français de retraites par répartition, composé d’une mosaïque de régimes soumis au triple pouvoir des politiciens, des syndicats et du patronat, qui tirent à hue et à dia. Quel organisme pourrait, mieux que la BdF, contribuer efficacement à la mise en place d’un tel organisme, créé en quelque sorte « à son image et à sa ressemblance », selon la formule du premier chapitre du livre de la Genèse ? Cet organisme, France Retraites, devra disposer d’un savoir-faire organisationnel du plus haut niveau dans le domaine de la finance le plus délicat et le plus important, celui du capital humain. Il aura mission de veiller à ce que se réalise dans de bonnes conditions un investissement vital pour la bonne marche du pays, l’investissement dans le capital humain, et à ce que les dividendes tirés de cet investissement soient répartis de manière équitable. La BdF remplit une mission analogue : veiller à ce que tout se passe correctement pour le financement des entreprises, des particuliers, et dans une certaine mesure des administrations, par le canal du crédit. Elle est donc très bien placée pour veiller sur la mise en place de l’organisme qui sera chargé de remplir une fonction analogue relativement au financement du capital humain et à la distribution des redevances que constituent les pensions (celles-ci ne sont stricto sensu ni des intérêts, ni des dividendes, ni des remboursements). La BdF devra libérer nos retraites des mythes qui rendraient vaine la création de France retraites L’intervention de la BdF suppose que le législateur renonce à la fable selon laquelle les pensions seraient dues en raison des cotisations de retraite. Seule une institution aussi puissante et respectée peut amener le Parlement à remettre les pendules à l’heure, c’est-à-dire à envoyer au panier l’actuelle législation des retraites par répartition, qui en fait un système de Ponzi, pour la remplacer par des règles juridiques compatibles avec la réalité économique – à savoir que les retraites se préparent en investissant dans le capital humain, et qu’en conséquences les droits … Lire la suite

“Le premier test démographique du Président Macron”, par Jacques Bichot

Article d’Alain Paillard et Jacques Bichot, publié le 4 mai 2018 par Causeur et l’Incorrect et le 5 mai par Économie-Matin La réussite (ou l’échec) d’un président de la République est souvent mesurée à l’aulne de l’évolution d’indicateurs économiques : PIB, chômage, emploi, niveau de vie, investissements réalisés par les entreprises, finances publiques, etc. Des indicateurs plus « sociaux » sont également utilisés : taux de criminalité et de délinquance, taux de pauvreté, indices d’inégalité de revenus, classements internationaux en matière de performances scolaires, et ainsi de suite. Et, bien entendu, des enquêtes d’opinion sont menées en grand nombre sur l’action et la personne du Président. En revanche, il n’entre absolument pas dans les habitudes de recourir à un indicateur démographique. Ceci est regrettable pour au moins deux raisons. Pourquoi la natalité est un indicateur important pour apprécier l’action de nos dirigeants La première est l’importance de la démographie, et particulièrement des naissances : c’est d’elles que dépend au premier chef l’avenir à long terme de notre pays. A la Libération, le général de Gaulle a très justement lancé un avertissement : s’il devait s’avérer, malgré la victoire, que la natalité restait faible, insuffisante pour assurer le renouvellement des générations[i], « la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint ». Et, de fait, si la France a retrouvé une place honorable dans le concert des nations, c’est bien, dans une large mesure, parce que les « trente glorieuses » ont été pour notre pays une période de forte natalité. La seconde raison qui pousse à recourir aux données démographiques, comme aux données économiques et sociales, pour évaluer la performance d’une équipe dirigeante, c’est que la « mise en route » des futurs citoyens est un indicateur important de confiance dans l’avenir, et donc dans les personnes qui gouvernent le pays. Une vision optimiste du gouvernement de la France incite à mettre des enfants au monde car nous avons envie que nos enfants soient heureux, et donc qu’ils grandissent dans un pays ayant des dirigeants qui s’occupent efficacement du bien commun. La relation entre l’opinion que nous avons de nos gouvernants et la natalité est certes complexe, mais il n’est pas absurde de considérer que, dans un pays développé, une bonne natalité signifie plutôt une bonne opinion – et une faible natalité, une opinion médiocre. D’un point de vue objectif, si la vitalité démographique n’est pas retenue comme l’un des critères de réussite de nos gouvernants, alors il n’y a pas davantage de raison de prendre comme critère la production ou l’investissement : non seulement l’homme est plus important que les biens et services, mais il est vrai aussi que, pour ce qui est du futur à long terme de la production, l’investissement dans la jeunesse est le plus décisif de tous les investissements. Les naissances de mars 2018 fournissent un tout premier test démographique de la présidence Macron   La naissance d’un enfant survient en moyenne 9 mois après sa conception. Emmanuel Macron ayant été élu le 7 mai 2017 et étant entré en fonction une semaine plus tard, le nombre des naissances du mois de mars 2018, qui correspondent aux conceptions réalisées en juin 2017, constitue la première information disponible pour apprécier, sinon l’action de nos dirigeants, du moins l’impact que leur accession aux postes de commande a eu sur le moral des couples en âge de procréer. L’INSEE fournissant généralement le nombre des naissances du mois N à la fin du mois N+1, du moins pour la France métropolitaine (les chiffres France entière ne sont disponibles que nettement plus tard), le chiffre du mois de mars vient d’être publié : 56 300 naissances vivantes. Ce test est négatif : l’élection d’Emmanuel Macron n’a provoqué aucun sursaut démographique En effet, l’orientation baissière perdure et s’accentue. Dans un précédent article, nous avions indiqué que cette baisse a débuté en 2010, et s’est accélérée en 2015. Depuis quelques mois, une nouvelle accélération est en cours, qui est particulièrement visible lorsqu’on indique pour chaque mois le nombre moyen de naissances par jour, ce que fait le tableau suivant : Mois Naissances du mois Nombre de jours Naissances par jour Variation Octobre 2017 63 900 31 2 061   Novembre 2017 60 800 30 2 026 –          1,7 % Décembre 2017 60 900 31 1 964 –          3,1 % Janvier 2018 59 800 31 1 929 –          1,8 % Février 2018 52 700 28 1 882 –          2,4 % Mars 2018 56 300 31 1 816 –          3,5 %  Durant les 6 derniers mois, la chute du nombre journalier des naissances est effrayante : en cinq mois (puisqu’octobre 2017 est le mois de référence), ce nombre diminue de 11,9 % ! Mais tout aussi inquiétante est l’accélération de la chute en mars 2018 : 3,5 % en moins, d’un mois sur l’autre, est un pourcentage tellement élevé qu’on pourrait se demander si le chiffre indiqué (à titre provisoire) par l’INSEE n’est pas légèrement entaché d’erreur. En tous cas, dans l’état actuel des statistiques de naissances, on ne saurait dire que les jeunes ménages français ont été rendus plus optimistes par l’élection d’Emmanuel Macron : la désespérance observée à travers la lunette démographique pour les trois dernières années de la Présidence Hollande, et tout particulièrement pour ses quatre derniers mois, chargés en inquiétudes électorales, ne semble nullement avoir été enrayée par l’élection de notre jeune Président. [i] Ce renouvellement requiert, abstraction faite des mouvements migratoires, un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) au moins égal à 2,07 enfant par femme. Jusqu’en 1974, y compris cette année-là pour laquelle l’ICF fut égal à 2,11, cette condition fut remplie. Depuis-lors, l’ICF français n’a plus jamais atteint 2,07. En 2017, pour la France métropolitaine (la valeur France entière est connue plus tardivement), il a valu 1,85. La croissance de la population est due à deux autres phénomènes : l’allongement de la durée de vie moyenne, et une immigration supérieure à l’émigration. Hélas, la croissance de la longévité n’a pas été gérée intelligemment (l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans en 1982 a privé la France des bénéfices qu’elle aurait pu en tirer), et la qualification des immigrés n’est pas en … Lire la suite

“La solidarité entre les générations, grande oubliée de la réforme des retraites”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot, vice-président de l’association des économistes catholiques, le 14 décembre 2019. Publié sur Aleteia le 17 décembre2019 Le 11 décembre 2019, le Premier ministre français (Édouard Philippe) a prononcé devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), un discours de 55 minutes exposant les décisions prises par le gouvernement concernant la réforme des retraites françaises. Un projet de réforme, dont quelques grandes lignes figuraient dans le programme d’Emmanuel Macron, le vainqueur de l’élection présidentielle du 7 mai 2017, avait été élaboré par une petite équipe dénommée Haut-commissariat à la réforme des retraites, ayant à sa tête Jean-Paul Delevoye. Depuis la publication de ces « préconisations », en juillet 2019, les Français attendaient de savoir ce qu’en retiendraient le Gouvernement et le président de la République. La réponse à cette attente est donc arrivée 6 jours après la première grande manifestation de protestation, le 5 décembre 2019, et le déclenchement d’une grève de grande ampleur qui paralyse encore, une semaine plus tard, une partie importante des services publics, depuis les transports jusqu’à l’enseignement. Néanmoins, il ne semble pas que le discours prononcé par É. Philippe le 11 décembre ait particulièrement essayé de rassurer les grévistes, dont le mouvement inflige à une forte proportion de Français une gêne importante. Une réforme est-elle nécessaire ? Le système de retraites français, composé de 42 régimes différents, fonctionnant tous par répartition, n’est évidemment pas rationnel. Il existe par exemple un régime pour les anciens mineurs, alors qu’il n’existe quasiment plus d’actifs travaillant dans ce domaine, si bien que les cotisations reçues ne représentent qu’une fraction infime des pensions versées. Il en va de même ou presque de même pour différents régimes, par exemple celui des exploitants agricoles ou celui des ouvriers de l’État. D’autres, sans être au même point dépourvus de cotisants, n’en ont pas assez pour payer les pensions : c’est le cas des régimes respectifs de la SNCF et de la RATP, dont les personnels fournissent de gros bataillons de grévistes. Force est donc de reconnaître que la formule « régime catégoriel fonctionnant par répartition » n’est pas viable sur le long terme, parce que si certaines catégories de travailleurs augmentent fortement (par exemple les avocats), d’autres (par exemple les exploitants agricoles) diminuent d’une façon qui ne permet pas le maintien de leurs régimes de retraite, si ce n’est grâce à des subventions massives. Que ces subventions proviennent d’autres régimes, via le dispositif appelé « compensation démographique », ou de l’État (donc de l’impôt ou de l’emprunt), la solution est boiteuse. Avoir un seul régime de retraites dites par répartition, ce que l’on appelle un régime « universel »[1], est une nécessité incontestable. Les pouvoirs publics l’avaient plus ou moins compris à la Libération, et bon nombre des hommes politiques de cette époque difficile ont été partisans de l’instauration d’un régime unique. Mais ce projet s’est heurté à trois obstacles : la sottise, l’égoïsme catégoriel et le désir de certains de conserver la maîtrise de ce qu’ils considéraient comme leur « pré carré », en quelque sorte une propriété privée. Nous avons eu là un exemple important d’incompréhension du « bien commun », notion essentielle dans la doctrine sociale de l’Église. Le Gouvernement de l’époque dut reculer, accepter le maintien de régimes catégoriels, en dépit de l’absence de viabilité à long terme d’une telle formule. Le travail de construction d’un bon système de retraites a donc été mal engagé à la Libération, pour deux raisons principalement : l’ignorance et l’égoïsme. Aujourd’hui, notre devoir est de corriger les malfaçons structurelles qui datent de cette époque. C’est une entreprise évidemment plus difficile que ravaler la façade d’un immeuble, réparer une fuite d’eau ou remplacer un carreau cassé ! L’obstination dans l’erreur est une forme de péché. On pourrait, de façon quelque peu moralisatrice, s’appesantir sur l’égoïsme catégoriel. Son rôle n’est certes pas nul, il est à l’œuvre aujourd’hui comme en 1945-1946, mais il me semble que la bêtise joue un rôle encore plus important. Car en refusant obstinément un régime unique, les membres de certaines catégories socioprofessionnelles, principalement la fonction publique et les « régimes spéciaux », fragilisent les secteurs d’activité dont ils tirent leurs ressources. Leurs employeurs, qui ne bénéficient pas d’une pluie de billets de banque, n’ont d’autre solution que d’embaucher du personnel sous statut de droit commun, ce qui aboutira à long terme, après maints conflits et moult difficultés financières, à la disparition pure et simple des statuts spécifiques. Certains combats, soi-disant menés dans l’intérêt des travailleurs, nuisent en réalité, à long ou moyen terme, à leur intérêt. C’est idiot. Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église ne comporte pas de rubrique « intelligence », non plus que « sottise » ou « bêtise ». Mais certains Papes, et notamment Benoît XVI, ont bien mis l’accent sur un point important : ne pas faire les efforts requis pour moins mal comprendre la façon dont le monde fonctionne est un manquement à nos devoirs de chrétiens. Nous avons reçu un cerveau dont le potentiel est merveilleux, et ne pas nous en servir pour distinguer ce qui marche bien de ce qui marche mal ou ne marche pas est une paresse répréhensible, et le cas échéant un péché. Le Catéchisme de l’Église catholique place la paresse parmi les sept péchés capitaux, et comme le manque de discernement est souvent la conséquence de la paresse intellectuelle, on peut considérer que le Malin trouve son compte à cette faiblesse du discernement qui fait des ravages dans notre civilisation. Ces ravages sont d’autant plus conséquents que les personnes qui sont dans l’erreur, qui prennent des vessies pour des lanternes, qui ne font pas les efforts requis pour penser juste, se considèrent fréquemment et sont souvent largement reconnues comme étant des sommités. Caritas in veritate l’a bien montré : il n’y a pas d’authentique amour du prochain là où prévaut le refus de la vérité. Nous avons le devoir de chercher la vérité, et donc d’accroître nos connaissances, de façon à « dominer » la nature. … Lire la suite