Jacques Bichot: “Le compte de l’enfance : un conte à dormir debout”
Article rédigé par Jacques Bichot et publié le 29 février 2020 sur Economie Matin 12,8 Mds € Les enfants, dans le calcul de l’impôt, représentent un avantage fiscal de 12,8 milliards d’euros. La DREES, Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques, est l’organe qui s’occupe de ces questions pour les ministères sanitaires et sociaux. Dans sa collection Les Dossiers de la DREES vient de sortir un volume, portant le n° 50, intitulé Compte de l’enfance, qui est censé présenter « les dépenses sociales et fiscales en faveur des enfants ». Cette publication comporte hélas des parties fondées sur des a priori « politiquement corrects » éloignés de la réalité. Il convient donc que des économistes immunisés contre ce virus remettent les pendules à l’heure. Tel est le but de cet article. Les deux points chauds du compte de l’enfance L’étude sous revue distingue deux « périmètres » du compte de l’enfance, un « périmètre cœur » pour lequel la dépense s’élèverait en 2017 à 63 Md€, et un « périmètre étendu », pour lequel la dépense atteindrait 107 Md€. A défaut de pouvoir tout traiter dans ce bref article, nous examinons ici deux des quatre postes les plus importants, tous deux situés dans le « périmètre étendu » : la « prise en compte des enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu » et les « droits familiaux de retraite ». Le premier est censé représenter un avantage de 12,8 Md€, et le second (pour 2016, les données 2017 n’étant pas disponibles) un avantage de 20,7 Md€. Les effets du quotient familial Le dossier du quotient familial est ainsi présenté : « l’effort public en faveur des enfants repose aussi sur la fiscalité, en particulier le mécanisme du quotient familial qui permet de réduire l’impôt sur le revenu des familles ayant des enfants à charge ». On remarquera que l’existence d’une « réduction » est affirmée a priori, sans justification, ce qui gêne d’ailleurs les « auteures » (sic). Honnêtement, elles reconnaissent en effet dans la phrase suivante que « Le quotient familial renvoie au principe constitutionnel selon lequel l’impôt sur le revenu tient compte de la capacité contributive des ménages (capacité, à niveau de revenu donné, d’autant plus faible que la famille est nombreuse). Plus qu’une dépense en faveur des enfants à proprement parler, il est considéré par l’État comme une mesure d’équité fiscale. » Mais peu leur importe la Constitution, les auteures affirment sans ambages : « Ce dispositif constitue néanmoins une aide pour les familles concernées et s’inscrit à ce titre dans un périmètre étendu du compte de l’enfance (29 % des dépenses de l’extension du périmètre) ». Une conception « adultiste » du quotient familial On comprendrait que des économistes statisticiennes ne prennent pas pour critère des dispositions juridiques, fussent-elles d’ordre constitutionnel : le droit est une chose, l’économie en est une autre. Mais elles n’avancent aucun argument économique à l’appui de leur adhésion (ou de leur soumission ?) à l’idée selon laquelle l’impôt sur le revenu devrait être calculé sans tenir compte des enfants. Cette idée est « politiquement correcte » dans un certain milieu, auquel appartiennent probablement des personnes occupant des postes importants à la DREES et dans les ministères sociaux. Laisser discrètement entendre que l’esprit de la Constitution ne va probablement pas dans le même sens que l’idéologie « adultiste » selon laquelle les enfants comptent pour du beurre, comme on dit familièrement, était probablement le maximum que pouvaient se permettre les auteures. Dans un état d’esprit adultiste, les enfants ne sont pas considérés comme une contribution des parents à l’avenir de la société, mais plutôt comme des jouets perfectionnés que l’on a fabriqués pour se faire plaisir. Dans cet état d’esprit, il est envisageable de faire quelques cadeaux fiscaux à ceux qui font le choix de cet usage de leurs deniers, comme à ceux qui font des dons à des œuvres caritatives ou qui installent des panneaux solaires pour produire leur électricité, mais il ne faut surtout pas utiliser un concept de foyer fiscal qui désigne comme étant le contribuable un corps intermédiaire, la famille, et non pas les seuls individus adultes. En allant jusqu’au bout de la logique adultiste, la mise en commun de leurs revenus par les époux ne devrait avoir aucune conséquence fiscale : chaque adulte devrait être imposé sur ses propres revenus, la notion de foyer fiscal devrait disparaître. Considérer le principe même du quotient familial comme étant générateur de réductions d’impôt, d’aide fiscale, est la forme atténuée qu’a prise l’adultisme, à défaut de pouvoir imposer une fiscalité plus radicalement individualiste. Le traficotage du quotient familial L’impôt sur le revenu est progressif : le revenu imposable est découpé en tranches, supportant chacune un taux d’imposition d’autant plus élevé que l’on grimpe dans l’échelle des revenus. Pour effectuer ce découpage en tranches, la loi s’appuie sur les notions de « part » et de « quotient familial ». Chaque adulte du foyer compte pour une part, et les enfants comptent soit pour une demi-part (les deux premiers) soit, depuis la loi de finances votée fin 1980, pour une part entière (les suivants). Le revenu du ménage est divisé par le nombre de parts, et le barème de l’impôt est appliqué à ce « revenu par part » (censé indiquer le niveau de vie de la famille). L’impôt dû fut quelque temps égal à l’impôt par part multiplié par le nombre de parts. Ensuite, le législateur a considéré le principe même du quotient familial comme procurant une réduction d’impôt, et il s’est préoccupé de plafonner cette soi-disant « réduction », créant une belle usine à gaz. Le système des parts avait pour but initial de proportionner le taux du prélèvement au niveau de vie du foyer fiscal. L’introduction en 1980 d’une part complète pour les enfants de rang supérieur ou égal à trois était incompatible avec cet objectif : si les demi-parts constituent un bon compromis entre le recours à des échelles de niveau de vie statistiquement irréprochables et l’exigence de simplicité de l’impôt sur le revenu, les parts … Lire la suite