La liberté économique, une condition du bien commun

Article Etienne Chaumeton Etienne Chaumeton
Responsable des études dans une entreprise multinationale
Membre de l’Association des économistes catholiques Les images d’enfants mourant de faim en Corée du Nord ou de foules qui attendent désespérément devant des épiceries vides au Venezuela nous rappellent une vérité trop évidente : là où il n’y a pas de liberté économique, les besoins des hommes ne peuvent être efficacement satisfaits, la dignité de l’homme n’est plus respectée et le bien commun ne saurait exister. Voltaire, qui n’était pas économiste, remarquait déjà que « le pays où le commerce est le plus libre sera toujours le plus riche et le plus florissant ». L’étymologie du mot économie, οἰκονομία en grec, c’est-à-dire « gestion de la maison », implique une dimension communautaire et une responsabilité sociale vis-à-vis de ses proches. L’économie est une science de l’action humaine, sa bonne compréhension et une conception correcte de la nature humaine et de sa finalité sont indispensables à l’existence d’un bien commun. Après avoir vu que l’homme est créé libre et créateur et qu’il est appelé à être acteur du développement économique, nous verrons que le bien commun, qui ne doit pas être
confondu avec l’intérêt général, ne peut exister que si certaines conditions fondatrices de la liberté économique sont respectées. L’homme est créé libre et créateur Le magistère de l’Eglise nous révèle que l’homme est la « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » (Gaudium et spes, 24, 3). L’homme est avant tout une créature, son existence dépend d’un Autre, qui l’a créé et qui le précède. C’est à partir de cet Autre que doit se comprendre la liberté de l’homme. Dieu a voulu l’homme libre « pour qu’il puisse de lui-
même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude » (Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, 135). La liberté dont l’homme est dotée en fait un « signe privilégié de l’image divine » (Gaudium et spes, 17).
Alors que pour Karl Marx la liberté peut s’entendre comme « faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie » (L’Idéologie allemande, 1845-1846), la liberté de l’homme comporte en fait une exigence et une orientation, elle n’est pas la soumission aux caprices individuels ou aux opinions majoritaires du moment. La liberté bien comprise est un chemin, qui poursuit un but. Le chemin est la
quête de Dieu, qui se fait dans le respect des lois de la création et des normes morales et le bien est la Vie éternelle elle-même, l’union avec Dieu.
La liberté que Dieu a donnée à l’homme et qui le distingue des autres créatures lui permet d’agir sur sa propre destinée et de s’engendrer lui-même. L’homme a été créé libre pour qu’il soit acteur de sa vie. Si l’homme est avant tout une créature de Dieu, il est également le fruit d’un père et d’une mère, qu’il est amené à quitter pour s’attacher à sa femme. Ensemble, ils
sont appelés à se multiplier et à se répandre sur la terre (Gn 9, 7). Le magistère reconnaît que « l’homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités. » (Gaudium et spes, 12). La liberté confiée à l’homme n’est donc pas centrée sur son individualité, elle est nécessairement sociale. La famille
constituant la première « société » humaine, selon l’expression de saint Jean-Paul II dans sa Lettre aux Familles (1994). La liberté de l’homme implique une responsabilité et s’exerce au sein d’une communauté. Pour indiquer aux hommes un chemin permettant de construire des relations morales, respectueuses la dignité humaine et de la vraie liberté, Dieu a donné le
Décalogue. Ces dix paroles furent d’ailleurs données durant l’Exode, après l’esclavage en Egypte, pour accompagner les hommes vers leur liberté. Sur ces dix paroles, deux concernent le respect du mariage et de la famille (6 e et 9 e ) et deux la propriété privée (7 e et 10 e ). Nous
voyons déjà des premières conditions nécessaires à l’existence du bien commun. L’homme doit assurer un développement économique 

Lorsque qu’après avoir créé l’homme et la femme, Dieu les bénit et leur dit « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1, 28), il a confié une liberté créatrice à l’homme et à la femme. La nature doit être cultivée pour être à leur service et les faire vivre. Elle n’a pas pour vocation d’être laissée stérile et idolâtrée dans sa virginité. Elle
est à la disposition du travail de l’homme, qui doit s’en servir pour ses besoins productifs, avec responsabilité, sans évidemment la détruire.
Il est de la nature de l’homme de chercher à améliorer son sort et celui de sa famille.
L’économie de marché, que l’on peut également appeler économie d’entreprise ou économie libre, se caractérise par le fait que les hommes sont libres d’entreprendre, d’entrer ou de sortir d’un marché, pour échanger avec des partenaires économiques afin que chacun puisse satisfaire au mieux ses besoins. Il est important de rappeler que l’échange libre est non
seulement indispensable, car nous utilisons tous les jours des produits et services que nous serions incapables de produire par nous-mêmes, mais qu’il est créateur de richesses pour les deux échangeurs, sans quoi l’échange ne se ferait pas. Concrètement, chaque échangeur
évalue ce qu’il achète comme ayant plus de valeur que ce qu’il vend. Dans une économie libre, le succès d’une entreprise dépend de sa capacité à répondre aux besoins d’une demande solvable. L’entrepreneur qui réussit est celui qui sait mobiliser des facteurs de production de manière rentable en répondant aux besoins des hommes. En cela l’économie libre est
vertueuse. Elle récompense ceux qui contribuent aux besoins des hommes. Sans monopole artificiel imposé par un Etat, tout producteur qui ne répond pas à une vraie demande, ou qui y répond mal, en gaspillant des moyens de production, est mis hors marché par la … Lire la suite

“Gouverner, c’est aussi sanctionner”, par Jacques Bichot

Article de Jacques Bichot publié le 22 janvier 2018 sur L’Incorrect et le 23 janvier sur Économie-Matin L’affaire de Notre-Dame des Landes restera dans les annales comme un exemples navrant de mauvaise gouvernance. Des centaines de millions d’euros ont été gaspillés, des affrontements ridicules ont eu lieu, des tribunaux ont été stupidement engorgés (plus de 100 procès perdus par les opposants, qui au final ont gagné politiquement), et l’impunité des hors-la-loi s’est étalée au grand jour, contribution supplémentaire à la déshérence de l’autorité dont souffre notre pays, et particulièrement ses banlieues.  Je ne suis pas compétent pour dire si ce nouvel aéroport aurait été ou non vraiment utile et rentable, mais que la réponse soit oui ou non il est un fait certain : la conduite de projet a été lamentable. Alors, quels sont les responsables de ce fiasco, et comment les a-t-on sanctionnés ?   Une longue liste de fautes politique et administrative jamais sanctionnées   Il n’a pas été donné de réponse à la première question, et il est probable que les pouvoirs publics n’en chercheront pas, ce qui signifie qu’il n’y aura pas de sanction. Si les choses se passent effectivement ainsi, ce sera un pas de plus dans une mauvaise direction – une direction dans laquelle la France est hélas très engagée, et cela depuis fort longtemps. Hommes politiques et hauts fonctionnaires peuvent jeter l’argent par les fenêtres, c’est-à-dire gaspiller le travail des Français, en faisant mal le leur, ils n’en supportent que rarement les conséquences. Une soi-disant faute, montée médiatiquement en épingle, comme employer son conjoint en tant qu’assistant parlementaire, ce qui n’a causé de tort à personne, a valu à François Fillon de perdre tout son capital politique, mais de véritables et graves erreurs professionnelles, lourdes de conséquences, sont purement et simplement passées par pertes et profits, sans donner lieu à la moindre sanction : comment croire, dans de telles conditions, que notre pays sera un jour convenablement dirigé et administré ? Rappelons quelques-unes des bévues administratives et politiques dont les responsables n’ont jamais été inquiétés : L’affaire des portiques destinés à faire contribuer les entreprises de transport routier au financement de l’usure des routes nationales par leurs poids-lourds. Le gaspillage s’élève là aussi à plusieurs centaines de millions d’euros, et aucune sanction, semble-t-il, n’a été prononcée. Le fiasco du logiciel Louvois, qui a pourri la vie à beaucoup de familles de militaires, victimes d’erreurs relatives aux traitements et autres éléments de rémunération de nos soldats. Certains n’ont rien touché pendant des mois, d’autres ont trop perçu et, s’ils avaient cru pouvoir dépenser une solde plus généreuse que d’ordinaire, ont dû ensuite rembourser dans la douleur. Là encore, à notre connaissance, ce fut l’impunité pour les responsables de cette monstruosité informatique. L’incurie informatique dont ont été victimes les artisans et commerçants lors de la fusion de leurs régimes de retraite dans le RSI a elle aussi été laissée impunie. La Cour des Comptes avait pourtant mis à jour les responsabilités, ou du moins la principale d’entre elles, une querelle de chefs. Des magistrats, greffiers, avocats et justiciables sont actuellement victimes des box vitrés, ces cages destinées aux prévenus qui ont commencé à être installées dans les salles d’audience de certains tribunaux et que l’on a tout simplement oublié de sonoriser, si bien que la communication entre les prévenus dans leur enceinte de verre renforcé, leurs avocats et les magistrats, est devenue très problématique. Le garde des sceaux est certes un peu sur la sellette, mais cette bévue va-t-elle avoir des conséquences pour ceux qui en sont responsables ? Plus généralement, va-t-on enfin s’occuper de ceux qui, au gouvernement, au ministère mais aussi dans les juridictions et dans les lieux de détention, portent en partie la responsabilité des lenteurs et des dysfonctionnements de la justice, de l’insuffisance des places de prison, et d’une bonne partie de la pénibilité du travail des surveillants ? Bien d’autres erreurs et fautes non sanctionnées pourraient être mises à jour par une étude exhaustive du fonctionnement des administrations, de la haute fonction publique et des instances tant législatives qu’exécutives. Certes, il existe des décisions qui ne peuvent avoir d’autre sanction que le vote des électeurs, mais dans la fonction publique sanctionner par des rétrogradations ou des mises à pied, voire des licenciements pour faute lourde, devrait devenir concevable et, quand ce ne l’est pas, légalement possible.   Récompenser ceux qui performent et faire progresser ou sanctionner ceux qui font des erreurs    La Chambre régionale des comptes a par exemple découvert qu’à l’hôpital de Quimperlé un médecin chef de service, jugé incompétent et dangereux pour les patients, a depuis 30 ans simplement été dispensé d’exercer ses fonctions, continuant à percevoir ses émoluments, soit 130 000 € de coût annuel pour l’hôpital (Capital du 22 décembre 2017). Quid des directeurs de cet établissement qui ont ainsi gaspillé l’argent des assurés sociaux ? Pour les élus et les dirigeants politiques potentiels — particulièrement les hommes politiques qui exercent certaines responsabilités au sein de partis — des préparations sont souhaitables et réalisables. Il faut en effet que les personnes qui arriveront dans des postes de responsabilité dans des mairies, des départements, des régions, au parlement ou au gouvernement, soient intellectuellement et psychologiquement préparés non seulement à impulser des projets, mais aussi à sévir lorsque cela est nécessaire. Il est agréable de lancer l’étude puis la réalisation d’un nouvel aménagement, d’un nouveau service ; il l’est moins, mais il est tout aussi utile, d’élaguer le bois mort, qu’il s’agisse de projets, de réalisations ou de collaborateurs. Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale ne suffisent pas, loin s’en faut, pour redresser les finances publiques ; il faut à tous les niveaux avoir le souci du travail bien fait et de la productivité, c’est-à-dire de la gestion au quotidien et du management des hommes. Ceux-ci n’étant pas des anges, il est utile de récompenser ceux qui performent, de chercher à faire progresser ceux qui font des erreurs ou pas grand-chose, et de les sanctionner si la manière douce ne … Lire la suite

“Attaques policières : les conséquences économiques”, par Jacques Bichot

Article publié le 5 janvier 2018 sur Économie-Matin Les récentes agressions de policiers à Champigny, diffusées sur les réseaux sociaux par des « observateurs » qui filmèrent, notamment, les brutalités infligées à une policière jetée à terre, ont attiré l’attention sur un phénomène qui a depuis des années une ampleur effrayante : les outrages et violences à dépositaires de l’autorité. Aux raisons invoquées couramment pour sévir plus sévèrement contre ces crimes et délits, l’économiste peut en ajouter une : les dégâts économiques provoqués par ces actes sont considérables, et engager des moyens accrus pour en diminuer la fréquence et la gravité constituerait en quelque sorte un investissement très rentable. Je m’appuierai pour le montrer sur la partie ad hoc d’une étude sur le coût du crime et de la délinquance réalisée par mes soins en 2016 à la demande de l’Institut pour la justice, et actualisée sur ce point pour tenir compte des dernières données disponibles. Les statistiques officielles Le document dit « état 4001 » qui répertorie mois par mois les crimes et délits commis en France et transmis à la justice par la police ou la gendarmerie (« faits constatés ») comporte deux « index » consacrés à notre sujet : l’index 72 pour les « outrages à dépositaires de l’autorité », et l’index 73 pour les « violences à dépositaires de l’autorité ». Le mois le plus récent pour lequel nous disposons des données, novembre 2017, comporte 2 112 outrages recensés et 2 625 violences recensées. Ces chiffres sont assez représentatifs de ceux dont on dispose depuis plusieurs années, qui correspondent à des ordres de grandeur annuels d’environ 25 000 outrages et 30 000 violences. Le nombre réel de ces méfaits est certainement supérieur, car la justice n’est pas saisie chaque fois qu’un policier se fait insulter par un « jeune » ou reçoit une pierre qui ne lui fait qu’un bleu. La réalité dépasse probablement davantage la fiction statistique en ce qui concerne les outrages, car à quoi bon déranger pour quelques insultes un procureur qui, ayant à poursuivre de nombreux faits nettement plus graves, classera évidemment le dossier ? La théorie de la vitre cassée On sait pourtant, à partir de ce qui s’est passé à New-York et dans d’autres agglomérations américaines, que le bon moyen pour faire baisser la délinquance est de ne rien laisser passer – c’est-à-dire, selon l’image devenue classique, de sanctionner tout délit, y compris un simple bris de vitre. La délinquance diminue quand le sentiment d’impunité s’estompe ; or ce sentiment s’instaure et devient une seconde nature dès lors que de petits délits, de simples « bêtises », sont en pratique admis par les autorités policières et judiciaires. Le montant du préjudice Nous avons estimé en 2016, « à la louche », que les dommages infligés aux policiers, gendarmes et magistrats par ces outrages et violences s’élèvent à environ 130 M€ par an. Ce n’est pas rien, mais c’est très peu au regard des dégâts produits par l’atteinte à l’état de droit que représentent ces agressions verbales et physiques contre les représentants de la loi. En effet, la fréquence de ces agressions dans certains quartiers et certaines circonstances (manifestations, notamment) cause un tort important à l’ensemble des citoyens. Cette gabegie, jointe aux attentats terroristes, entraîne par exemple, selon certaines estimations, un million de séjours touristiques en moins ; ce sont ipso facto 750 M€ qui manquent au PIB. Mais ceci est bien peu au regard des conséquences qu’ont sur une partie importante de la population le comportement de certains « caïds » et de leurs séides qui se moquent éperdument (et visiblement) des forces de l’ordre. Combien de millions de personnes donneraient volontiers 1 000 € par an pour ne pas vivre dans la peur de ces délinquants auxquels les représentants de la loi ne font absolument pas peur ? Un résident sur dix paraît une estimation raisonnable. Cela signifie que le sentiment d’insécurité engendré par la déliquescence de l’état de droit que manifestent l’irrespect et l’agressivité à l’égard des forces de l’ordre nous coûte au moins 6 Md€ par an. Augmenter le budget des forces de l’ordre et la justice pourrait être très rentable Je me méfie un peu du concept de bonheur national brut, mais il est quand même intéressant pour étudier ce genre de problèmes. Une reprise en main des voyous qui humilient les défenseurs de l’état de droit produirait certainement une augmentation du bonheur national brut de plusieurs milliards d’euros chaque année. Si nous devions pour cela dépenser un ou deux milliards de plus annuellement pour nos gendarmes, policiers, magistrats et gardiens de prison, l’opération aurait un taux de rentabilité tout-à-fait sympathique. Bien entendu, il ne s’agit pas seulement d’augmenter les budgets, cela serait un gaspillage si l’on ne donnait pas « en même temps » aux forces de l’ordre les conditions juridiques et psychologiques requises pour exercer plus efficacement leur métier. Si les « dépositaires de l’autorité » qui sont au contact des malfrats ne sont pas complètement soutenus par les autres dépositaires de l’autorité, ceux qui ne reçoivent ni insultes ni crachats ni coups de boule, ni pavés ni cocktails Molotov, les milliards dépensés en plus ne serviront à rien. Powered By EmbedPress

Jacques Bichot : Comment réussir le prolongement de la vie active ?

Article de Jacques Bichot publié le 4 décembre 2017 sur Économie-Matin Un professeur à l’université de Turin, Pietro Garibaldi, a fait le 30 novembre, au colloque du COR (Conseil d’orientation des retraites), une communication remarquable, mais déprimante, sur un effet pervers du relèvement de l’âge de la retraite en Italie : tenues de garder leurs « seniors », les entreprises italiennes embauchent beaucoup moins de jeunes, si bien que malgré leur nombre plus que modeste, ceux-ci souffrent d’un chômage épouvantable. La démographie italienne est catastrophique depuis le milieu des années 1980 : pour un pays dont la population est approximativement aussi nombreuse que celle de la France, moins de 600 000 naissances par an depuis 1985 (contre un million en 1965 !) et seulement 474 000 (face à 608 000 décès) en 2016. Nés dans les années 1990, les jeunes Italiens se présentent aujourd’hui et depuis plus d’une dizaine d’années sur le marché du travail à raison de 550 000 par an environ, au lieu d’à peu près 750 000 en France. Quant aux Italiens qui arrivent à l’âge de la retraite, nés dans les années 1950 ils appartiennent à des classes d’âge de 850 000 approximativement : l’Italie, comme la France, a connu son baby-boom. Dans ces conditions, les jeunes devraient être accueillis à bras ouverts par les employeurs, comme étant rares et donc précieux ! Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe. 37 % des personnes de moins de 25 ans sont au chômage en Italie contre 24 % en France, 19 % en moyenne européenne, et 7 % en Allemagne. Pourquoi ce chômage incroyable de la jeunesse ? Une première raison peut être cherchée du côté de l’immigration, nettement plus importante qu’en France : le nombre d’étrangers présents en Italie est passé d’un peu moins de 2 millions en 1990 à un peu plus de 5 millions en 2016, en dépit de très nombreuses naturalisations (jusqu’à 178 000 en 2015). Mais la concurrence des entrées d’immigrés sur le marché de l’emploi italien n’explique pas tout : Pietro Garibaldi montre que la prolongation des carrières professionnelles constitue un facteur statistique très important. Essayons de décrypter ce phénomène. Il résulte vraisemblablement d’une conjonction de facteurs. Citons en premier lieu l’atonie économique d’un pays vieillissant, dont les entreprises veulent bien conserver leurs travailleurs âgés, parce qu’elles les connaissent et parce qu’ils ne sont plus là pour très longtemps, alors qu’un jeune, en cas de diminution des commandes, devrait être licencié. Deuxièmement, garder un « vieux » une année de plus, c’est comme embaucher en CDD d’un an, avec l’avantage de bien connaître celui dont on s’assure ainsi les services. Troisièmement, les immigrés, quel que soit leur âge, sont souvent moins exigeants. Quatrièmement, les femmes étant peu mobilisées par des grossesses et des responsabilités parentales se portent davantage sur le marché du travail. Cinquièmement, et nous arrêterons là une liste qui pourrait évidemment être prolongée dans une étude plus détaillée, les jeunes les mieux formés n’ont pas tous envie de rester en Italie, loin s’en faut : une forte proportion d’entre eux prend la direction de l’étranger, laissant derrière eux des contemporains moins employables. Ainsi le recul de l’âge de la retraite est-il dramatique dans un pays où la démographie est en berne, où l’économie est peu dynamique et où l’immigration est forte. De plus la situation risque d’empirer, ou du moins de ne pas s’améliorer, en raison d’effets cumulatifs : moins l’emploi sera bon, plus les jeunes convenablement formés s’expatrieront, moins la production progressera, moins les couples auront le cœur à mettre des enfants au monde, plus il faudra relever l’âge de la retraite et donc moins les jeunes restés au pays trouveront du travail. Que faire ? Pour sortir de ce cercle vicieux il convient probablement de ne pas exagérer la vitesse de relèvement de l’âge de la retraite, de freiner le plus possible l’immigration, d’agir énergiquement en faveur de la natalité, et d’améliorer au maximum l’employabilité des jeunes – à cet égard, le système italien de formation initiale, comme son homologue français, a sans doute bien des progrès à accomplir. La France diffère de l’Italie surtout sur un point : la natalité, bien que décroissante depuis 3 ans – nous activons régulièrement la sonnette d’alarme à ce sujet – n’y est pas aussi catastrophique qu’au sud des Alpes. Il sera un peu moins difficile chez nous de réaliser le maintien au travail des seniors sans sacrifier l’emploi des jeunes, mais cela ne veut pas dire que ce sera facile. L’amélioration de la formation, initiale et continue, le freinage de l’immigration et le renforcement de la politique familiale sont des directions à emprunter dans notre pays comme en Italie. Si nous n’agissons pas sur ces trois leviers avant que la situation ne se dégrade trop, le maintien des seniors au travail en moyenne quelques années de plus, qui devrait être une des grandes évolutions des dix ou 20 prochaines années, débouchera sur des drames analogues à ceux que vivent nos voisins du sud, et particulièrement ceux d’entre eux qui devraient faire leur entrée dans la vie active et se heurtent à une porte, sinon verrouillée, du moins à peine entrouverte.   Powered By EmbedPress