Menace socialiste aux Etats-Unis

Par Etienne Chaumeton Sur la base de la Statue de la Liberté, qui a accueilli au siècle dernier des millions d’immigrés arrivant à New-York, un poème dit « envoyez-moi vos pauvres ». Les Américains devraient-ils maintenant avoir peur du sort réservé à leurs riches ? Les propositions fiscales des candidats démocrates à l’élection présidentielle interrogent sur le changement de mentalités de l’autre côté de l’Atlantique. Alors qu’au cours des 20 dernières années une dizaine de pays de l’OCDE a renoncé à un impôt sur la fortune, les États-Unis pourraient en adopter un. Outre Joe Biden, Elizabeth Warren et Bernie Sanders sont en tête des sondages avec respectivement 23% et 16% des intentions de vote pour les primaires démocrates. Ces deux candidats proposent d’instaurer une taxe sur l’intégralité du capital d’un ménage, ce qui n’existe pas à ce jour aux États-Unis. Cette nouvelle taxe s’appliquerait uniquement aux « ultra millionnaires », pour reprendre l’expression d’Elizabeth Warren.   Un couple d’américains serait assujetti à cette taxe à partir de 32 millions de dollars de capitaux nets (hors dette) pour Bernie Sanders. Pour Elizabeth Warren, le seuil serait de 50 millions de dollars de capitaux nets. Les deux démocrates proposent des taux progressifs, jusqu’à 3% pour Elizabeth Warren et jusqu’à 8% pour Bernie Sanders. Avec de tels taux il devient difficile, voire impossible de préserver la valeur d’un capital. Le Dow Jones a baissé de 5,6% en 2018. Les candidats ne cachent d’ailleurs pas que cette taxe va diminuer la valeur du patrimoine des riches. Même si ces propositions n’émanent pas du candidat démocrate favori, Joe Biden, elles proviennent de candidats qui captent tout de même une part significative des électeurs américains. Comme sur le Vieux Continent, les États-Unis cèdent à la tentation de voir l’impôt, non plus comme la contrepartie de services publics nécessaire au bon fonctionnement de la société et au respect des libertés individuelles, mais comme un moyen de contrôler, limiter et redistribuer par la contrainte étatique les propriétés privées des citoyens. Le but ostensiblement avoué n’est pas de lever des taxes pour améliorer le fonctionnement de la société. Il s’agit de priver des millionnaires d’une partie de leurs richesses parce qu’ils sont millionnaires, Bernie Sanders estimant arbitrairement qu’ils « ont trop ». Il a été jusqu’à Tweeter que « les milliardaires ne devraient pas exister ». Il convient de souligner que cette taxe ne concernerait pas la consommation des « trop riches », qui peut être anonyme, mais leur capital, de manière personnelle, quelle que soit la nature du capital et où qu’il se trouve sur la planète. Ni Elizabeth Warren ni Bernie Sanders ne prennent la peine de détailler comment le capital net va être évalué. Comment, par exemple, le fisc américain devra-t-il évaluer les œuvres d’art, les biens immobiliers détenus à l’étranger ou la valeur des parts détenues dans les entreprises ? Si la richesse d’un millionnaire repose sur un bien peu liquide, comme un bien immobilier ou une œuvre d’art, sera-t-il contraint de le vendre pour payer ses impôts ? Si c’était le cas, le cours de ces biens serait amené à baisser, ce qui réduirait d’autant les recettes fiscales espérées. Elizabeth Warren estime à 2 750 milliards de dollars les recettes fiscales sur 10 ans de sa nouvelle taxe. Bernie Sanders estime quant à lui que sur une décennie sa taxation du capital rapportera 4 350 milliards de dollars au fisc américain. C’est sans compter sur le fait que trop d’impôt tue l’impôt et que les millionnaires ne pourront plus créer et conserver un capital tel qu’ils ont pu le faire jusqu’à ce jour. Si Jeff Bezos, parti de peu, a pu devenir l’homme le plus riche des États-Unis, c’est parce qu’en bon entrepreneur il a su créer de la valeur ajoutée en répondant à la demande de ses clients. C’est également parce que le système fiscal américain lui a laissé l’essentiel des fruits de son travail. Si Jeff Bezos était contraint de vendre des parts de son entreprise pour payer une taxe sur le capital, les nouveaux actionnaires seraient-ils aussi compétents pour gérer l’entreprise ? La mise en place d’une fiscalité trop lourde inciterait un entrepreneur à s’implanter dans un pays où la fiscalité serait moins pesante. Elizabeth Warren comme Bernie Sanders abordent la question du risque d’exil fiscal des millionnaires concernés par cette taxe sur le capital. Leur réponse est simple et consiste une nouvelle fois à priver les plus riches de leur propriété privée. L’exil fiscal serait taxé à 40% pour Warren et de manière progressive, jusqu’à 60% pour Sanders. La propriété privée, pourtant à la base du développement économique et de l’ordre social américain, serait fortement affectée par une accession d’Elizabeth Warren ou de Bernie Sanders à la Maison-Blanche. Ces deux candidats démocrates ne se souviennent peut être pas que la guerre d’indépendance des Etats-Unis a commencé par une révolte fiscale, Donald Trump pourrait en tirer les dividendes…

Un pape contre la pauvreté

Par Etienne Chaumeton Relecture de l’encyclique Rerum novarum par Étienne Chaumeton Membre de l’Association des économistes catholiquesResponsable des études dans une entreprise multinationale   Un pape contre la pauvreté Relecture de l’encyclique Rerum novarum Etienne Chaumeton Membre de l’Association des économistes catholiquesResponsable des études dans une entreprise multinationale     En 1891, le monde comptait 1,45 milliards d’habitants, 86% d’entre eux étaient pauvres et 72% extrêmement pauvres[1]. L’espérance de vie moyenne dans le monde était de 29,9 ans et le revenu moyen mondial de 1 114$[2]. Le monde était confronté à une croissance économique et démographique intense qui transformait en profondeur les relations sociales, le rôle du politique et la vision du monde. Dans les 70 années précédentes, la population mondiale avait augmenté de 37% et les revenus moyens de 69%[3]. Un tel développement économique, alors sans précédent dans l’histoire humaine, était corrélé à une augmentation des inégalités, qui attisait les tensions sociales et nourrissait des conflits idéologiques. En 1890, les 5% les plus riches possédaient autant (34.9%) que les 80% des plus pauvres (35.0%) de la planète[4]. Dans ce contexte, deux idéologies ennemies et irréconciliables se faisaient face: le libéralisme et le socialisme. D’un côté des libéraux, débarrassés de toute référence à une autorité suprême, considéraient que chacun pouvait être à lui-même sa propre norme et que la libre concurrence règlerait les questions économiques sans intervention extérieure ; d’autre part des socialistes réclamaient la suppression de toute propriété privée et appelaient à la lutte des ouvriers contre les capitalistes. Le monde semblait se diriger vers une confrontation inéluctable entre deux classes antagonistes. C’est au milieu de ce bouleversement de l’ordre établi et « d’agitation fiévreuse » que pour la première fois un pape, Léon XIII (1810-1903), prit la plume et rédigea le premier texte consacré à la doctrine sociale de l’Eglise, la lettre encyclique Rerum novarum. La Bible ne manque pas de références et de lois relatives à l’économie, le Nouveau testament en particulier comprend de nombreuses paraboles se référant explicitement à des questions économiques, mais Rerum novarum fut le premier texte magistériel entièrement dédié à ces questions, tant le besoin s’en faisait pressant. Sa rédaction intervint dans le contexte tendu et menaçant précédemment décrit. Les regards des patrons d’industries, des ouvriers, des représentants syndicaux et des dirigeants politiques ne pouvaient qu’être attentifs à cette époque à une prise de parole du pape. Celui-ci prit le temps de consulter de nombreux spécialistes avant de publier un texte de référence, dont la portée dépassa de beaucoup le seul monde ecclésial et catholique. Nous proposons aujourd’hui une relecture de ce texte. Le souverain pontife, lucide sur la gravité de la question ouvrière et sur les risques inhérents à un déchainement des passions et des intérêts particuliers, a analysé en profondeur la situation. Il a confirmé les fondements de la vie économique et sociale. Parmi les différentes structures sociales évoquées, il a rappelé les pouvoirs et les limites des Etats, l’importance des corps intermédiaires et surtout le rôle fondamental et premier de la famille. Il ne revient pas à un pape de définir des solutions techniques précises et universelles pour améliorer les conditions économiques des personnes. Léon XIII a cependant ouvert des portes vers un avenir plus juste et plus paisible où chaque personne peut être respectée et avancer plus aisément vers sa finalité. Depuis 1891 le monde a considérablement changé, la tension se fait aujourd’hui sentir entre une société occidentale riche mais en déclin relatif d’un point de vue démographique, économique et spirituel et des pays en développement qui voient l’extrême pauvreté reculer et une classe moyenne émerger, pour peu qu’ils s’ouvrent à la liberté des échanges. Les propos de Léon XIII méritent aujourd’hui une relecture pour éclairer la situation actuelle.   Principes généraux La Lutte des classes Si le pape Léon XIII ne peut en aucune manière être qualifié de marxiste, il emprunte volontiers la rhétorique de la lutte des classes. Le terme de « classe » revient 31 fois, qu’elles soient « inférieures », « ouvrières », « pauvres », « infortunées », « des travailleurs », « déshéritées », « indigentes » ou « riches ». Les classes étaient vues par certains comme « ennemies-nées l’une de l’autre, comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu’ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné »[5]. Le vocabulaire utilisé traduit la profonde inquiétude du pape face à une société qui semblait condamnée à la violence et à la cruauté. « [D]es travailleurs isolés et sans défense se sont vus, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains (…) des hommes avides de gain, et d’une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce, devenus le partage d’un petit nombre de riches et d’opulents, qui imposent ainsi un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires[6]. » Au XIXe siècle, la vision d’une société divisée en différentes classes se retrouve dans la pensée de nombreux auteurs, comme Alexis de Tocqueville, mais le socialisme a réduit à deux le nombre de classes et en a fait des ennemis naturels voués à s’affronter. Pour guérir le mal des ouvriers, les socialistes « poussent à la haine jalouse des pauvres contre ceux qui possèdent. Ils prétendent que toute propriété de biens privés doit être supprimée, que les biens d’un chacun doivent être communs à tous, et que leur administration doit revenir aux municipalités ou à l’État[7]. » Au même moment, les libéraux, dans leur acception la plus extrême, ne juraient que par le marché et ne conçoivaient l’Etat que comme l’émanation humaine des choix d’une multitude, garantissant strictement les droits de propriété de chacun. Les deux idéologies se rejoignaient dans la mesure où elles sont basées sur l’absence de Dieu à la fois comme créateur et comme finalité de l’homme. Le point de discorde entre socialisme et libéralisme se fait sur la définition des droits de propriété et la manière dont ils sont gérés.   La propriété privée La nouveauté que constituait l’expression d’un pape sur les questions économiques rend d’autant plus importantes ses prises de positions qu’elles font depuis partie du … Lire la suite