Michel Lelart : Pourquoi Benoît XVI parle-t-il de la microfinance dans Caritas in Veritate ?

Résumé :Au mois de juin 2009, le pape Benoît XVI a publié une encyclique Caritas in Veritate, dans laquelle il évoque à deux reprises le microcrédit et la microfinance. Ces références peuvent étonner. C’est la première fois qu’elles apparaissent dans une encyclique. Nous avons cherché à en comprendre les raisons. D’une part, la microfinance permet de réduire la pauvreté, ce qui est un souci de l’Eglise depuis toujours, comme de développer l’activité à travers l’initiative économique, ce qui est devenue pour elle une préoccupation. D’autre part, la microfinance est un secteur qui respecte la subsidiarité, qui n’est pas étranger au bien commun, et qui s’ouvre à la solidarité, trois des grands principes de la doctrine sociale de l’Eglise. Elle est aussi une finance de proximité, et en cela elle respecte la diversité des cultures comme le Pape le souhaite. Mots clés :  Code JEL : M14 – O17 – Z12 ——————— Abstract : “Microfinance” in the papal encyclical Caritas in Veritate : Why ? In June 2009, Pope Benedict XVI published an encyclical entitled Caritas in Veritate in which he twice mentions “microcredit” and “microfinance”. These references may appear surprising since this is the first time that they are introduced in a papal encyclical. This paper provides an explanation for the introduction of these two references. Firstly, microfinance has a goal of reducing poverty, which has always been a major concern of the Church, as well as the goal of developing individual action by way of economic initiative, which recently has become a major preoccupation of the Church. Secondly, microfinance is based on the principles of common good, subsidiarity and solidarity, three major principles in the Church’s social doctrine. Moreover, microfinance is based on the principle of proximity, which is in line with the notion of cultural diversity, which, in turn, is in conformity with the Pope’s desideratum. Key words : Social doctrine of the Church, Caritas in Veritate, microfinance, micro-credit Code JEL : M 14 – O 17 – Z 12 La dernière lettre encyclique du Pape Benoît XVI publiée le 29 juin 2009 « Caritas in Veritate » était annoncée comme une encyclique sociale. Plusieurs encycliques du même genre l’avaient précédée. La première est celle de Léon XIII sur la condition des ouvriers Rerum Novarum en 1891, alors que la révolution industrielle bat son plein et que Marx l’analyse à sa façon. La deuxième est celle de Pie XI sur le capitalisme Quadragesimo Anno en 1931, alors que le capitalisme connaît sa première grande crise que Keynes va s’efforcer d’expliquer quelques années plus tard. Viennent ensuite de Jean XXIII Mater et Magistra en 1961 sur les récents développements de la question sociale et Pacem in Terris en 1963 sur la paix entre les nations, puis en 1967 Popularum Progressio de Paul VI qui affirme que la question sociale est devenue mondiale et qui plaide pour un développement intégral de l’homme et un développement solidaire de l’humanité. Ce sont enfin trois encycliques de Jean-Paul II : Laborem Exercens en 1981 sur l’homme au travail, Sollicitudo Rei Socialis en 1987 sur les conditions et la nature d’un vrai développement, Centesimus Annus en 1991 qui marque le centième anniversaire de Rerum Novarum et qui plaide pour une société digne de l’homme. Ces textes constituent la doctrine sociale de l’Église catholique 2 . Elle repose sur quelques principes essentiels que Léon XIII a posés dès Rerum Novarum et qui n’ont jamais varié depuis. Le premier est sans conteste l’intangible dignité de la personne humaine, qui entraîne, nous le verrons, la subsidiarité, la solidarité et le bien commun (Compendium, n°160)3. D’autres principes s’en déduisent, en particulier la destination universelle des biens et l’option préférentielle pour les pauvres. Mais ce sont les quatre premiers qui sont les véritables fondements d’une doctrine qui s’est sans cesse adaptée aux problèmes contemporains… et les problèmes ont changé depuis la fin du XIXe siècle. L’encyclique de Benoît XVI s’inscrit parfaitement dans cette évolution. C’est toujours la même doctrine sociale, mais deux choses ont changé. La première est que cette encyclique n’est pas que sociale. Elle est aussi théologique, philosophique, voire même anthropologique. C’est pourquoi elle est si difficile à lire – au fil des pages on y rencontre le prix, le marché, les matières premières, l’entreprise, les syndicats… en même temps que la charité, la justice, la vérité, le bien commun, la liberté et, bien sûr, l’amour de Dieu… C’est aussi pourquoi elle est considérée comme un texte majeur dont la portée apparaît considérable à certains. Le second changement, plus naturel celui-là, concerne l’adaptation de l’encyclique à l’actualité. Le passage à l’international s’est fait avec Populorum Progressio, la mondialisation a été prise en compte avec Centesimus Annus, la nouveauté cette fois concerne l’environnement et, du fait de la crise, la finance… et tout particulièrement la microfinance. On peut s’étonner de cette dernière intrusion dans une encyclique consacrée à l’Amour dans la Vérité ! A vrai dire, ce qu’en dit Benoît XVI n’est pas très original. Il parle de la microfinance à deux occasions. – Dans le chapitre 4 intitulé « Développement des peuples, droits et devoirs… », le Pape affirme que « pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique » (n° 45). Et il pense que cela est également vrai de la finance qui peut plus facilement s’ouvrir à l’éthique à travers le microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Il ne s’agit pas là de n’importe quelle éthique, mais d’une éthique « amie de la personne », qui repose sur « la dignité inviolable de la personne humaine, de même que sur la valeur transcendante des 2 normes morales naturelles » (n°45). L’économie – et la finance – ont donc besoin de morale et la microfinance apparaît comme une voie privilégiée. C’est pourquoi, ajoute Benoît XVI, « ces processus sont appréciables et méritent un large soutien ». – Dans le chapitre suivant consacré à la collaboration de la famille humaine, le Pape passe en revue les domaines où pourrait s’exercer une plus grande solidarité, et il aborde … Lire la suite