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Note sur les effets économiques et sociaux de la pandémie (Covid-19)
Note publiée en mai 2020 sur le site de l’Académie catholique de France CRISE ET APRÈS-CRISE : UN REGARD CHRÉTIEN SUR L’ÉCONOMIE Prologue Crise d’abord sanitaire, et douloureuse pour des millions de personnes, la crise que nous subissons est tout autant économique, et c’est sur ce plan une crise exceptionnelle, comparable à la seule crise de 1929 — qui a eu des effets dévastateurs. Il importe donc de bien réagir. Nous faisons face à un triple danger : le danger émotionnel, conduisant à de mauvaises décisions politiques, hâtives et mal considérées. Le danger d’actions décidées localement, mais mal articulées entre elles. Et le danger d’agir au mauvais rythme, soit trop vite, soit trop lentement. Pourtant, nous devons agir, et énergiquement, étant donné la gravité de la situation. La pensée chrétienne a dégagé des repères pour l’action qui s’avèrent précieux ici. Le premier, dont nous mesurons plus que jamais la centralité, est le bien commun. Le bien de chacun n’existe pas sans le bien de tous. Quoi de plus pertinent, pour rappeler ce principe, que la solidarité physique que crée l’épidémie, couplée avec l’évidente interdépendance de tous sur cette planète, dans cette terrible combinatoire que nous subissons tous ? Et comment sortir au mieux de cette épreuve, sinon par le souci de chacun tourné vers le bien de tous, et donc de chacun ? Un deuxième ensemble de principes, immédiatement parlants dans ce que nous vivons, est le couple solidarité et subsidiarité. Solidarité bien sûr : nous sommes à l’évidence dans le même bateau et nous nous sortirons ensemble de cette épreuve. Subsidiarité aussi, à savoir le recours maximal à l’initiative et à la créativité de chacun et des groupes intermédiaires, car les grands appareils centralisés n’ont pas pu assurer toute la protection qu’on attendait d’eux. Ce à quoi nous pouvons ajouter le rappel du principe de participation, car l’effort immense fourni par tant d’hommes et de femmes implique reconnaissance de leur contribution essentielle à l’effort commun. Le tout dans le respect de ces autres valeurs également mises en exergue par la pensée chrétienne : vérité, liberté, et justice — toutes trois malmenées dans cette épreuve. Encore faut-il ne pas perdre de vue les autres grands problèmes antérieurement existants de notre humanité : environnement, dette et déséquilibres financiers, injustices, mais aussi migrations. Car loin d’être relativisés par cette crise, ils s’en trouvent exacerbés. Là aussi, en un sens, tout est lié. Encore faut-il faire surtout un diagnostic juste de ce qui s’est passé, sans projeter sur les événements, qui ont surpris la plupart des participants, des idées préconçues quelles qu’elles soient. Le débat est ouvert, mais les faits suivants nous paraissent avérés. La question centrale de l’État et de la dépense publique Une crise externe à la sphère économique et financière Le fait premier est que la crise actuelle n’a rien à voir directement ni avec la finance, ni avec la spéculation, ni avec l’économie de marché en général. Ce n’est pas 2008. Cela ne dédouane pas ces réalités de leurs défauts et limites, mais nous sommes devant le cas d’une crise économique majeure qui n’est pas d’origine économique ou financière. Bien sûr, elle a mis en évidence et aggravé les fragilités de cette économie, notamment sur le plan financier avec l’endettement généralisé. Elle a montré aussi les limites de la mondialisation commerciale et industrielle, avec son culte des flux tendus et des délocalisations et ses concentrations de production en Chine, qui nous ont laissés terriblement démunis. Cela nous permet de prendre vraiment conscience (ce qui n’a probablement pas été suffisamment le cas auparavant) du fait qu’un phénomène comme la mondialisation, qui a eu des bienfaits considérables, tant pour les consommateurs des pays avancés que pour les producteurs des pays en développement, peut aussi être source de terribles vulnérabilités. Une première leçon en découle, qui est le besoin de ne pas se fier à des slogans abstraits ou des idéologies toutes faites. Une seconde leçon est que l’économie doit être réencastrée dans le contexte des communautés qui en vivent, cela incluant la responsabilité politique des dirigeants pour la protection de leurs peuples, dans le souci constant du Bien commun. Une défaillance majeure des politiques publiques, dans leurs priorités et leurs modes de gestion plus que dans les moyens déployés Un thème fréquemment évoqué a été celui des restrictions opérées dans de nombreux pays dans les politiques publiques en matière de santé. Ce thème peut avoir son sens ici ou là, mais ce n’est pas le plus pertinent en l’espèce : les restrictions budgétaires ont pu évidemment conduire à une moindre capacité à soigner, ce qui est en soi très important ; mais la taille des budgets santé n’est en aucune façon corrélée avec les résultats obtenus dans la lutte contre ce fléau. Le point central n’est donc en général pas d’abord de dépenser plus, mais d’une part de mieux dépenser, et d’autre part de réagir vite et courageusement. La France par exemple a un nombre de morts par habitants parmi les plus élevés, et a subi un gel dramatique de son économie. Pourtant les dépenses françaises de santé sont bien plus élevées que celles de la Corée, pour un résultat bien plus médiocre : 11,2 % du PIB contre 8 %, sans parler de Taïwan. Et ce n’est pas un problème de taille du secteur privé. Tant à Taïwan qu’en Corée, autour de 90 % des hôpitaux et des « cliniques » (centres de premier accueil des patients) dépendent du secteur privé. Les dépenses publiques de santé représentaient 4,8 % du PIB en Corée en 2018 et 9,3 % en France. De même, l’Allemagne voisine dépense autant que nous en proportion, avec un système nettement plus privatisé, beaucoup plus de lits d’hôpital, plus de tests, et de bien meilleurs résultats. Paradoxe enfin des pays comme le Portugal et la Grèce, qui ont subi des politiques de rigueur sévères, qui ont affecté douloureusement leur offre de soin, mais qui se tirent bien mieux de la crise sanitaire que la France. Quel … Lire la suite
“Les peines de prison sont (hélas) souvent irremplaçables”, par Jacques Bichot
Article publié sur Économie-Matin le 23 janvier 2020 La nouvelle loi justice entrera en vigueur au second trimestre de cette année. La chancellerie, en présence d’une grave surpopulation carcérale, et à défaut de disposer des crédits voulus pour augmenter comme il le faudrait le nombre de places en prison, cherche à développer les « peines alternatives », comme le port d’un bracelet électronique permettant de garder un œil (informatique) sur les délinquants laissés en semi-liberté. Pourtant, ce même ministère de la justice, dans une récente étude, « pointe le manque de vigilance et de sévérité des magistrats » (Le Figaro du 7 novembre 2019). Autrement dit, les tribunaux devraient avoir la main plus lourde, et « en même temps », comme dirait un personnage haut placé, envoyer moins de délinquants en prison. La solution consiste évidemment, pour une part, à faire des économies sur certaines dépenses qui ne sont pas indispensables : était-il vital, par exemple, de refaire toute la décoration de l’Élysée ? ou de faire changer des dizaines de milliers de panneaux de limitation de vitesse, mesure d’ailleurs suivie de changements en sens inverse dans de nombreux départements ? ou de fermer des centrales nucléaires encore parfaitement capable de produire de l’électricité dans de bonnes conditions de sécurité ? ou, dans le domaine judiciaire, de dépenser des sommes folles pour construire à Bagatelle un énorme TGI de Paris aussi peu fonctionnel que possible ? Mais ces économies doivent être accompagnées d’une recherche relative aux effets respectifs de la sévérité et de l’indulgence : les peines « alternatives » sont bien adaptées à certains délinquants, mais dans d’autres cas elles constituent une sorte d’encouragement à persévérer dans la violence et le mépris des droits d’autrui, à commencer par son intégrité physique et psychique. Ce qui suit est une illustration du bien-fondé de cette affirmation, basée sur les travaux d’un psychiatre doté d’une très grande expérience des jeunes délinquants. Protéger vite et bien est dans beaucoup de cas la méthode la plus efficace Ce qui suit provient essentiellement de deux ouvrages du docteur Maurice Berger, Voulons-nous des enfants Barbares (Dunod, 2008, et 2013 pour la seconde édition), et Sur la violence gratuite en France (L’artilleur, novembre 2019). Bien entendu, j’encourage vivement les personnes qui veulent approfondir cette question importante à lire ces deux ouvrages, dont je ne peux donner ici qu’un aperçu rapide. La « violence pathologique extrême » analysée dans le premier de ces livres provient le plus souvent d’une enfance marquée par la violence parentale et par « un environnement imprévisible et inintelligible ». Il ne s’agit pas nécessairement de sévices infligés à l’enfant : la violence conjugale dont il est témoin peut suffire à oblitérer fortement son psychisme. Le bébé se construit à la fois comme un « bébé tapé », même si c’est sa mère qui a reçu les coups, et comme l’agresseur tout-puissant qu’il voit à l’œuvre. Le Dr Berger cite le cas d’un enfant dont le père battait la mère et crachait sur elle quand il avait 6 mois, et qui à 2 ans et 3 mois battait les autres enfants et leur crachait dessus. Le seul spectacle de la violence du père à l’égard de la mère, si la justice n’y met pas rapidement le holà, peut conduire les enfants à la barbarie. Les sujets gravement atteints « sont insensibles à l’énoncé de la loi », explique Maurice Berger. Autrement dit, il est on ne peut plus hasardeux de parier sur une amélioration du comportement parental quand il a atteint un certain niveau de violence. Les contacts avec les parents doivent donc être soigneusement encadrés : médiatisés par des professionnels, qui éviterons le retour à l’emprise parentale maléfique, et peu fréquents. « Il peut être nécessaire de suspendre la rencontres parents-enfants pendant une ou plusieurs années, particulièrement lorsque les parents ont commis précédemment des actes graves sur leur enfant », explique le psychiatre. Ce n’est pas la prison, mais c’est une coupure ou une raréfaction des relations nécessaire pour que l’enfant puisse se construire et se reconstruire sans être soumis à des contacts délétères qui le condamnent à la violence. Cette forme de protection qui ne passe pas par la privation de liberté mobilise d’énormes moyens. Éducateurs spécialisés, psychiatres et institutions destinées à ces enfants en grand danger ne coûtent pas moins cher que des cellules et des gardiens de prison ! On ne traite pas les maux qui rongent notre société sans y consacrer beaucoup de ressources. Nous avons commencé par un domaine de malfaisance qui ne se traite pas par la privation totale de liberté, la prison, mais par une intervention forte, coûteuse et de longue haleine de services spécialisés, parce qu’il ne faudrait pas voir dans la prison un remède universel, et parce qu’il faut prendre conscience du fait que lutter contre les maux qui affectent notre société et ses membres exige des moyens considérables. Le budget de l’aide sociale à l’enfance se montait en 2016 à 7,6 ou 7,8 Md € ; il dépasse probablement 8 Md € en 2019 – autant que le budget du ministère de la justice. Et ce n’est qu’une partie du coût des graves défaillances parentales. Punir vite et bien est la deuxième jambe dont a besoin la lutte contre la malfaisance Le docteur Berger n’a rien d’un fanatique de l’incarcération. Il explique par exemple que « le premier dispositif de prévention de la violence [chez les adolescents] devrait être des brigades d’adultes ayant un enfant joueur en eux et jouant avec les enfants et leurs parents dans des centres sociaux ou des maisons de quartier, comme l’a réalisé notre équipe ». Cela parce que de nombreux jeunes ne savent pas jouer à faire semblant. « Quand on ne sait pas jouer à faire des accidents de voitures avec des modèles réduits, on joue en vrai. » Les jeunes délinquants expliquent eux-mêmes que brûler des automobiles, comme cela se fait classiquement lors des nuits de fête, est un jeu, « le but étant d’en brûler plus que ceux du quartier voisin. » Ces jeunes ont du mal à penser, ils s’ennuient, et ils cassent pour sortir de l’ennui, faute de savoir se distraire autrement. La violence gratuite … Lire la suite
La prochaine crise financière ? Pas d’impatience : ça se prépare !
Ajoutez votre titre ici La dernière crise, dix ans déjà ! A quand la prochaine ? La question est suffisamment présente pour nous convaincre que la pleine confiance n’est pas rétablie. Et notamment du fait du poids de la dette. Toute la planète croule sous le poids de la dette : partout le ratio de la dette rapportée au PNB dépasse nettement le niveau de 2007 ; tout pays, tous emprunteurs (particuliers, entreprises, Etats). Pourtant nous avait-on dit, la crise de 2008 était la dernière : des mesures drastiques devaient être prises pour éviter ce genre d’aventure à l’avenir. En un sens c’est vrai. En particulier l’appareil des règles s’appliquant aux banques et à un moindre degré aux marchés a été réellement durci, et pas de peu : à activité équivalente, les banques ont plus que doublé leurs fonds propres (qui fonctionnent comme un matelas de sécurité). Ce qui veut dire que là où pour prêter 100 (encours pondérés) elles avaient souvent 4 de capital, elles sont maintenant au-delà de 10. Dit autrement, elles sont toutes choses égales par ailleurs un peu moins endettées qu’avant – contrairement aux autres acteurs de l’économie. S’y ajoutent des mesures multiples et complexes renforçant leur capacité et celle des marchés à résister aux chocs. L’ensemble de ces mesures est en train d’être finalisé. De ce point de vue, un travail réel a été fait. Alors pourquoi l’inquiétude ? Un premier signal inquiétant nous vient de l’autre grand jeu de mesures mises en place après la crise : les interventions massives des banques centrales. L’idée de départ était bonne : soutenir le plus possible l’activité au moment de la crise. Mais cela fait dix ans que cela dure. C’est qu’un autre facteur est intervenu : la peur panique de la déflation ou baisse des prix. C’est l’idée qu’une fois qu’on est installé en déflation on n’en sort plus, car les gens dépensent beaucoup moins puisque leur argent s’apprécie avec le temps. Au nom de cela les banques centrales déversent depuis dix ans des quantités massives de liquidité pour faire baisser les taux d’intérêt et réanimer l’inflation. Sans énorme succès, car l’inflation est freinée par la mondialisation. Pourquoi est-ce inquiétant ? Parce que l’argent déversé va à quelque part. S’il ne nourrit pas l’inflation sur les marchandises, il va sur les marchés financiers et immobiliers et fait artificiellement monter les prix au-delà du raisonnable, et on investit dans n’importe quoi pour avoir du rendement (qu’on n’a plus sur les produits sûrs puisque les taux sont déprimés). C’est ce qu’on appelle une bulle. Quand une bulle éclate, on a une crise. En outre l’essentiel de cet argent finance la croissance de la dette. Tout le monde s’endette, vu que les taux sont si bas. Même la Chine, qui a réagi à la crise comme les Occidentaux : par un endettement intérieur colossal et très dangereux (avec une petite différence quand même : l’Etat chinois lui n’est pas endetté envers l’étranger). Or la dette est l’instrument principal de propagation des grandes crises. Pour une raison simple : si j’investis mon propre argent, que les marchés baissent ou que je fais des pertes, je suis simplement moins riche. Si j’investis de l’argent que j’ai emprunté, je ne peux plus rembourser ; je fais faillite, et je répercute la crise sur mon créancier. Si tout le monde prête à tout le monde de façon excessive, les crises se répandent à toute vitesse et deviennent comme on dit systémiques. En outre si comme on l’a vu on a renforcé les banques, elles restent quand même exposées : environ 90% de leur bilan est fait de fonds empruntés. De plus, on a constaté le développement énorme de ce qu’on appelle banque de l’ombre : des sociétés qui ont une fonction proche de celles des banques mais qui ne sont pas soumises à leur réglementation et à leur supervision. Et donc le risque d’une grande crise est bien réel. Où démarrerait-elle ? Par construction on ne le sait pas, car les gens éviteraient les opérations correspondantes. Presque toujours d’ailleurs une grande crise part d’un secteur jugé à tort sûr, comme les produits toxiques de 2007 qui avaient une si bonne notation financière. Que pourraient faire les pouvoir publics ? Essentiellement comme en 2008, faire marcher la planche à billet et inonder le marché de liquidités. Cela marchera-t-il ? Peut-être, mais à un niveau de risque bien plus élevé. Car cela fait dix ans maintenant qu’on déverse ces liquidités. Cela ne peut évidemment pas durer indéfiniment. Avec deux grands dangers : l’un, que l’inflation démarre pour de bon, les liquidités emportant tout sur leur passage ; l’autre, que la confiance dans nos monnaies finisse par s’éroder – car elles ne reposent sur aucune réalité autre que la confiance qu’on leur porte Sans compter les risques internationaux (mesures unilatérales, rétorsions etc.). Et donc il faudrait faire un effort pour être plus vertueux. Ne plus s’endetter. Surveiller la banque de l’ombre. Et surtout, compartimenter les marchés : ne pas laisser l’argent circuler librement partout, contrôler un minimum son espace. Etc. Mais pas de démagogie (populiste), qui ne ferait qu’accélérer la dérive : ceux qui selon une vision fausse du passé recommandent la planche à billet nous poussent sur la planche savonnée. On pourrait aussi sortir de l’euro, même si c’est difficile, mais pas pour être plus laxiste encore, tout au contraire. Le problème est que nous sommes habitués à toutes ces drogues. En sortir suppose donc un réel effort. Ce qui veut dire que nos équilibres socio-politiques en dépendent. Dit autrement, que la sortie de cette situation se fasse par retour à la vertu politique, ou qu’elle résulte d’une nouvelle crise à la suite de quoi on pourrait repartir sur de nouvelles bases, elle implique des mutations politiques profondes.
Les cinq attributs de la marchandise
Article Dominique Michaut Une génération convaincue qu’elle doit enseigner aux suivantes comment ne plus se laisser submerger par l’économie y parviendra mieux en transmettant que les marchandises sont des services et des biens qui ont cinq attributs, avec les exclusions les plus notoires que cela entraîne. L’un de ces cinq attributs va tellement de soi qu’on peut être enclin à le passer sous silence. Un service ou un bien devient une marchandise à partir de sa mise en vente puis cesse d’en être une lorsqu’il a trouvé un acheteur. Pour la marchandise primaire, la vente se conclut avec l’embauche, laquelle est le moment où commence un échange marchand qui dure jusqu’à la fin du contrat de travail. Pour les placements et les locations, la vente se conclut par l’engagement d’une mise à disposition, moment auquel commence un échange marchand qui dure jusqu’à la liquidation du placement ou la fin du bail. Dans tous les cas, une marchandise est une fourniture qui a été mise en vente et qui n’a pas encore trouvé preneur. La pratique intensive des échanges marchands a des effets positifs, dont celui d’alimenter un abondant flux de transferts de pouvoir d’achat. Mais pour en arriver à ce que ces échanges deviennent circonscrits aux marchandisations et financiarisations les moins dispensatrices de dommages, il faut qu’en science et en politique économiques puis dans la mentalité collective les exclusions les plus notoires de l’ensemble des marchandises soient prises en considération. Aucune ressource humaine n’est une marchandise. C’est pour trois raisons : la dépense d’énergie humaine n’est pas une marchandise ; le savoir n’est pas une marchandise ; les ressources humaines sont des ressources naturelles dont aucune n’est une marchandise. Il n’y en a pas moins des contrats de travail à cogérer, avec ce que cela comporte de contournement ou d’acceptation de la régie des écarts de salaire par la subjectivité collective. Le plus souvent par monnaie interposée et en plus ou moins grande partie au moyen de crédits avec ce que cela peut engendrer de bulles qui finissent par éclater en perturbant la marche des affaires, finalement les marchandises sont échangées contre d’autres marchandises.
“Pourquoi et comment réformer le Parlement ?”, par Jacques Bichot
Article publié le 16 juin 2019 sur Économie-Matin Empêtrés dans leur projet de réforme du Sénat, de l’Assemblée nationale, et du rôle de ces institutions, Matignon et l’Élysée semblent pencher pour quelques changements mineurs tels qu’une dose de proportionnelle et une (petite) réduction des effectifs. Aucune réflexion systémique n’est perceptible : nos gouvernants, comme à leur habitude, sont englués dans leur envie d’effectuer des changements mineurs pour, laborieusement, démontrer qu’ils agissent. Mais s’ils n’ont rien de vraiment intéressant à proposer, pourquoi ne restent-ils pas dans le statu quo ? Les Français en ont ras-le-bol des modifications à répétition qui n’ont d’intérêt ni pour eux ni pour notre pays. Ce n’est pas qu’il ne faille rien changer ! Il y a beaucoup à faire. Mais, justement, quand tant de nos institutions et de nos manières de faire méritent d’être remises en cause ou modifiées, il n’est pas bon de foncer tête baissée sur la première idée à la mode ; il faut au contraire commencer par bien réfléchir. La France, à l’instar d’un bon nombre de pays, est écrasée par le poids étouffant d’une législation touche-à-tout. Nos lois n’indiquent plus un esprit, des valeurs auxquelles nous sommes prêts à nous dévouer, et même à nous sacrifier, comme ces sauveteurs qui ont péri en mer en cherchant à sauver un pêcheur, ou les pompiers, ou nos soldats. On ne risque pas sa vie pour une loi qui traficote un ensemble de prestations sociales ou qui prétend imposer une imbécile écriture « inclusive ». Commençons par réfléchir aux rôles respectifs de la loi et du règlement Avant de réformer le Parlement, il faut avoir les idées claires sur ce qu’est son rôle dans la nation. Deux fonctions importantes reviennent logiquement à des élus nationaux : – premièrement, mettre noir sur blanc les « règles de juste conduite » que doivent respecter non seulement les citoyens, mais aussi les administrations et ceux qui sont censés les diriger, à savoir les ministres. C’est un rôle de législateur stricto sensu. – deuxièmement, contrôler l’action des dites administrations, et donc du Gouvernement, pour vérifier qu’elles s’inscrivent bien dans la ligne ainsi définie. C’est aussi un rôle qui revient pour partie au législateur, les niveaux ordinaires de juridiction pouvant difficilement statuer sur les actes importants accomplis ou projetés par les pouvoirs publics. Le premier travail est gigantesque : il s’agit d’abord de faire passer de la loi au décret ou à l’arrêté, ou de supprimer purement et simplement, des milliers, si ce n’est des millions, de phrases inutiles ou incongrues ; il s’agit aussi de réécrire de manière compréhensible ce qui est trop alambiqué, pour que chaque Français doté d’une capacité de lecture normale puisse, en quelques années, comprendre de quel pays il est citoyen. Vérifier que l’Exécutif respecte la loi Parallèlement, les membres du Parlement devront regarder attentivement ce que le Gouvernement fait ou se propose de faire, de façon à vérifier que cela est légal. Dans l’état actuel de nos institutions, le Gouvernement fait voter par la Représentation nationale toutes sortes de textes qui relèvent du décret, de l’arrêté ou de la circulaire, ce qui interdit au Parlement, sauf à se déjuger, de dire ensuite que les dispositions prises sont contraires à nos lois, puisqu’elles font désormais partie des dites lois. L’exemple le plus caractéristique de ces textes dont le niveau est celui du décret, mais qui sont actuellement déguisés en lois, est fourni par les lois de finance, textes que le Parlement vote généralement au mois de décembre de chaque année. Les lois de financement de la sécurité sociale constituent un second exemple très important de ce méli-mélo institutionnel né de l’incapacité qu’ont beaucoup de nos dirigeants à utiliser des concepts clairs et pertinents. Dans une démocratie bien organisée, ces textes relevant du commandement ne devraient pas être votés par le législateur, mais simplement être soumis à son examen pour vérifier qu’ils ne comportent pas de dispositions contraires à la loi. A l’heure actuelle, les lois de finances et leurs homologues pour le financement de la sécurité sociale ne sont pas les seules à constituer des catalogues de commandements : quasiment chaque texte de loi comporte quantité d’articles qui imposent de faire ceci ou cela, et constituent ipso facto des commandements, c’est-à-dire des ordres qui relèvent du règlement, et non de la loi. Laissons donc le gouvernement s’occuper des questions budgétaires sans passer par la loi, puisqu’en tout état de cause, grâce à l’article 49-3 de la Constitution, il dispose actuellement d’un outil très efficace pour avoir le dernier mot. Ne persévérons pas dans le camouflage de la réalité ! Puisque dans les faits c’est le Gouvernement, et non le Parlement, qui décide des impôts et des dépenses, laissons-le prendre ses responsabilités : que, simplement, le Législateur le surveille et lui tape sur les doigts s’il fait trop de bêtises. Un contrôle parlementaire a posteriori aurait autrement plus de pertinence et de poids que l’actuel procédure d’examen et vote a priori. Le Gouvernement prendrait véritablement ses responsabilités ; il serait félicité si les mesures budgétaires produisaient les heureux effets escomptés, et gourmandé dans le cas contraire. Et rien n’interdirait au pouvoir législatif et arbitral composé d’élus de renvoyer tel ou tel ministre, voire même la totalité des membres du Gouvernement. Concrètement, qu’est-ce qui changerait ? Il faut distinguer la période de transition, largement consacrée à nous débarrasser du fatras actuel de textes qui ont à tort été érigés en lois, et ce qui suivra une fois nettoyées les écuries d’Augias. La première période nécessitera un Législateur doté de capacités de travail extrêmement importantes : pour mener à bien cette œuvre herculéenne, et cela aussi rapidement que possible, il faudra une assemblée nettement plus nombreuse, qui se divisera en sous-groupes se répartissant les tâches. Ensuite, le format du Législateur pourra être nettement plus modeste. Quel sera le statut des membres de l’assemblée législative ? Diverses formules sont envisageables, mais il ne serait pas mauvais, à notre avis, que ces personnes soient élues pour une longue durée, par exemple 9 ans ou 12 ans, ce qui permettrait un renouvellement par tiers ou par quart, favorable à une meilleure continuité dans … Lire la suite
Ouvrages collectifs de l’AEC sur la doctrine sociale de l’église
L’AEC (Association des économistes catholiques) a publié 4 ouvrages collectifs sur différents thèmes de la doctrine sociale de l’Église. Tous ces ouvrages ont été publiés aux PUAM (Presses universitaires d’Aix-Marseille). Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.
DSE et libéralisme économique: un Ralliement de trop ? 1ère partie
Ajoutez votre titre ici L’épidémie de coronarivus a déclenché une nouvelle crise mondiale, sanitaire, sociale et économique, venant s’ajouter à une série déjà très longue de crises économiques. Cette crise agit comme un révélateur décapant de nos valeurs et de notre mode de vie, et fait tomber des illusions. Le système mondial basé sur un pseudo-libéralisme, notamment économique, non seulement se montre d’une grande fragilité, mais surtout définitivement incapable d’assurer le bien commun et la justice sociale, dans leur dimension matérielle (c’est tout ce qu’on lui demande). Il semble donc quasi-impossible après tout cela de concilier les enseignements de la DSE (Doctrine sociale de l’Eglise catholique) avec cette forme d’économie, comme c’était le cas du temps de Léon XIII. Cet article explique pourquoi. Un second article passera en revue les alternatives possibles, en conformité toujours avec la DSE. Le présent article sert également de conclusion à ma série sur le capitalisme, sur ce site AEC : « Le christianisme est-il à l’origine du capitalisme ? » d’ août 2017 à novembre 2017) : De quoi parle-t-on Les facteurs d’émergence du capitalisme industriel en Europe- quelques jalons Universalité potentielle du capitalisme – le cas de la Chine et du Japon Que dit la Doctrine sociale de l’Eglise? Que disent les anti-capitalistes ? La question des corporations de métiers Je fais partie, je l’avoue, de ceux qui ont trouvé que le pape François allait trop loin dans Laudato Si’ en 2015, avec ses charges sans grandes nuances contre les entreprises et la finance. Ces dernières sont, avec les puissances publiques et chacun d’entre nous en tant que consommateur, les piliers du capitalisme financier mondialisé triomphant. Cela m’avait conduit à rédiger en 2016 l’article AEC « Autorité magistérielle des encycliques- le cas de Laudato si’ » sur la manière de lire et d’accueillir, ou non, les diverses choses, d’autorité variable, qu’on trouve dans les déclarations ou textes pontificaux. Toujours avec la révérence et la modération due par un catholique à ce qui sort de la plume des occupants de la chaire de saint Pierre. Cependant il se pourrait bien que le pape François, qui donnait l’impression de jeter le bébé avec l’eau du bain, ait vu juste sur ce point. Cette dernière crise mondiale « de trop », donnerait alors raison à Laudato Si’, contre tous les textes pontificaux depuis Léon XIII (et même Benoît XIV en 1745 dans Vix pervenit sur les contrats) qui tolèrent moralement le capitalisme et l’économie dite de marché, moyennant de sérieuses réserves. Mais qui les tolèrent, sous le régime de la prudence. L’Eglise catholique est là principalement pour transmettre et proclamer l’Evangile contre vents et marées, administrer les sacrements et pousser les chrétiens à accorder plus d’importance à leur éternité qu’à leur passage sur terre. Elle n’est pas là pour prendre parti pour ou contre tel ou tel régime politique ou économique (ou les deux), dès lors qu’il n’est pas radicalement contraire à l’Evangile et à la doctrine sociale de l’Eglise. Elle l’a fait cependant contre le socialisme et l’économie associée, condamnée sans ambage par Léon XIII et tous ses successeurs. Aucun pape en revanche n’a rejeté sans appel le libéralisme économique ni le capitalisme de marché ou démocratique ; ils s’en sont accommodés moyennant caveat et réserves. On reviendra plus loin sur ces terminologies, totalement piégées, dans lesquelles ils ont sagement évité de s’enfermer. Dans le domaine politique, à partir du moment où un régime reconnaît la primauté de la loi de Dieu (« omnia potestas a Deo ») et que César est une créature de Dieu et non un autre dieu, saint Thomas d’Aquin (recommandé comme “maître à penser” par le Catéchisme de l’Eglise catholique et par le Code de droit canonique) nous apprend qu’il n’y a pas de régime intrinsèquement mauvais (monarchie, aristocratie ou démocratie) tant qu’il y a des garde-fous pour qu’ils ne tournent pas à la tyrannie (d’un seul ou du peuple) ou à l’oligarchie. Dans le De Regno il semble considérer que la monarchie parlementaire (ou du moins munie de solides barrières évitant le dérapage vers la tyrannie) est meilleure que les autres. Malheureusement pour nous (ou heureusement ?) l’Ange de l’Ecole ne s’est pas livré à pareille analyse pour les régimes économiques. Il s’est contenté de donner la cause finale de l’économie ainsi que les principes à respecter, quelle que soit la forme. Or, il semble bien que le libéralisme économique ait achevé de prouver son incapacité à assurer l’intérêt général, pour ne pas dire le bien commun. Nous commencerons dans cet article par constater expérimentalement l’incapacité du libéralisme à se réformer ou à se restreindre, ainsi que sa fragilité croissante. Ensuite après avoir clarifié la terminologie, nous récapitulerons l’enseignement de l’Eglise sur les régimes économiques, au fil de ses évolutions. Dans un second article, nous examinerons avec prudence par quoi pourrait être remplacé, pour peu qu’on le veuille vraiment, le système socio-économique actuel, selon les critères de la DSE. Tout en restant dans la zone de réflexion qu’un simple fidèle peut se permettre publiquement, sans aller contre la partie doctrinale voire dogmatique du Magistère. Sur les simples opinions au contraire, nous sommes invités à contribuer respectueusement et avec modération à la réflexion de l’Eglise. Continuer à considérer dans la DSE le libéralisme économique comme un « moindre mal » , basé sur la séparation des capitaux et du travail et le mécanisme du marché plus ou moins encadré, ne risquerait-t-il pas de tourner à une forme de Ralliement, comme le Ralliement à la République demandé aux catholiques français par l’auteur de Rerum Novarum dans le domaine politique, et dont on connaît les funestes conséquences (« Au milieu de sollicitudes », 1892) ? Nous sommes ici bien sûr sur le terrain de la morale pratique, et non de la théologie spéculative. Roberto de Mattei, Le ralliement de Léon XIII, Cerf 2016 1. Un mode de civilisation incapable de se réformer moralement, et de plus en plus fragile matériellement 1.1 Incapable de se réformer moralement Mat 7,16 : «On reconnaît l’arbre à ses fruits. » Proverbes, 26,11 : « Comme le chien retourne à son vomi, l’insensé revient à ses folies. … Lire la suite