La liberté économique, une condition du bien commun

Article Etienne Chaumeton

Etienne Chaumeton

Responsable des études dans une entreprise multinationale
Membre de l’Association des économistes catholiques

Les images d’enfants mourant de faim en Corée du Nord ou de foules qui attendent désespérément devant des épiceries vides au Venezuela nous rappellent une vérité trop évidente : là où il n’y a pas de liberté économique, les besoins des hommes ne peuvent être efficacement satisfaits, la dignité de l’homme n’est plus respectée et le bien commun ne saurait exister. Voltaire, qui n’était pas économiste, remarquait déjà que « le pays où le commerce est le plus libre sera toujours le plus riche et le plus florissant ».

L’étymologie du mot économie, οἰκονομία en grec, c’est-à-dire « gestion de la maison », implique une dimension communautaire et une responsabilité sociale vis-à-vis de ses proches.

L’économie est une science de l’action humaine, sa bonne compréhension et une conception correcte de la nature humaine et de sa finalité sont indispensables à l’existence d’un bien commun. Après avoir vu que l’homme est créé libre et créateur et qu’il est appelé à être acteur du développement économique, nous verrons que le bien commun, qui ne doit pas être
confondu avec l’intérêt général, ne peut exister que si certaines conditions fondatrices de la liberté économique sont respectées.

L’homme est créé libre et créateur

Le magistère de l’Eglise nous révèle que l’homme est la « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » (Gaudium et spes, 24, 3). L’homme est avant tout une créature, son existence dépend d’un Autre, qui l’a créé et qui le précède. C’est à partir de cet Autre que doit se comprendre la liberté de l’homme. Dieu a voulu l’homme libre « pour qu’il puisse de lui-
même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude » (Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, 135). La liberté dont l’homme est dotée en fait un « signe privilégié de l’image divine » (Gaudium et spes, 17).
Alors que pour Karl Marx la liberté peut s’entendre comme « faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie » (L’Idéologie allemande, 1845-1846), la liberté de l’homme comporte en fait une exigence et une orientation, elle n’est pas la soumission aux caprices individuels ou aux opinions majoritaires du moment. La liberté bien comprise est un chemin, qui poursuit un but. Le chemin est la
quête de Dieu, qui se fait dans le respect des lois de la création et des normes morales et le bien est la Vie éternelle elle-même, l’union avec Dieu.
La liberté que Dieu a donnée à l’homme et qui le distingue des autres créatures lui permet d’agir sur sa propre destinée et de s’engendrer lui-même. L’homme a été créé libre pour qu’il soit acteur de sa vie. Si l’homme est avant tout une créature de Dieu, il est également le fruit d’un père et d’une mère, qu’il est amené à quitter pour s’attacher à sa femme. Ensemble, ils
sont appelés à se multiplier et à se répandre sur la terre (Gn 9, 7). Le magistère reconnaît que « l’homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités. » (Gaudium et spes, 12). La liberté confiée à l’homme n’est donc pas centrée sur son individualité, elle est nécessairement sociale. La famille
constituant la première « société » humaine, selon l’expression de saint Jean-Paul II dans sa Lettre aux Familles (1994). La liberté de l’homme implique une responsabilité et s’exerce au sein d’une communauté. Pour indiquer aux hommes un chemin permettant de construire des relations morales, respectueuses la dignité humaine et de la vraie liberté, Dieu a donné le
Décalogue. Ces dix paroles furent d’ailleurs données durant l’Exode, après l’esclavage en Egypte, pour accompagner les hommes vers leur liberté. Sur ces dix paroles, deux concernent le respect du mariage et de la famille (6 e et 9 e ) et deux la propriété privée (7 e et 10 e ). Nous
voyons déjà des premières conditions nécessaires à l’existence du bien commun.

L’homme doit assurer un développement économique



Lorsque qu’après avoir créé l’homme et la femme, Dieu les bénit et leur dit « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1, 28), il a confié une liberté créatrice à l’homme et à la femme. La nature doit être cultivée pour être à leur service et les faire vivre. Elle n’a pas pour vocation d’être laissée stérile et idolâtrée dans sa virginité. Elle
est à la disposition du travail de l’homme, qui doit s’en servir pour ses besoins productifs, avec responsabilité, sans évidemment la détruire.
Il est de la nature de l’homme de chercher à améliorer son sort et celui de sa famille.
L’économie de marché, que l’on peut également appeler économie d’entreprise ou économie libre, se caractérise par le fait que les hommes sont libres d’entreprendre, d’entrer ou de sortir d’un marché, pour échanger avec des partenaires économiques afin que chacun puisse satisfaire au mieux ses besoins. Il est important de rappeler que l’échange libre est non
seulement indispensable, car nous utilisons tous les jours des produits et services que nous serions incapables de produire par nous-mêmes, mais qu’il est créateur de richesses pour les deux échangeurs, sans quoi l’échange ne se ferait pas. Concrètement, chaque échangeur
évalue ce qu’il achète comme ayant plus de valeur que ce qu’il vend. Dans une économie libre, le succès d’une entreprise dépend de sa capacité à répondre aux besoins d’une demande solvable. L’entrepreneur qui réussit est celui qui sait mobiliser des facteurs de production de manière rentable en répondant aux besoins des hommes. En cela l’économie libre est
vertueuse. Elle récompense ceux qui contribuent aux besoins des hommes. Sans monopole artificiel imposé par un Etat, tout producteur qui ne répond pas à une vraie demande, ou qui y répond mal, en gaspillant des moyens de production, est mis hors marché par la faillite de son entreprise. L’économie libre a donc une fonction auto-régulatrice. La quête de nouveaux clients et de la satisfaction de leurs besoins amène les entrepreneurs à se dépasser eux-mêmes et à faire mieux que leurs concurrents. L’économie libre permet un dynamisme, orienté vers la recherche de valeurs ajoutées, alors qu’une économie administrée ou socialisée vise à restreindre la prise de risques et n’est pas en mesure d’évaluer efficacement si elle satisfait les besoins des hommes. Saint Jean-Paul II a parlé dans sa grande encyclique sociale Centesimus Annus, du rôle pertinent du profit, « quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés et les besoins humains correspondants convenablement satisfaits » (Centesimus Annus, 35). C’est l’accumulation de profits qui permet de constituer un capital, nécessaire aux investissements, eux-mêmes nécessaires au
développement économique.

L’économie libre est efficace et respectueuse de la nature humaine


On observe que les régimes athées, national-socialistes ou communistes au XX e siècle ont mis en place un contrôle étatique de l’activité économique. Ces régimes ont à leur bilan des échecs économiques considérables, mais surtout des atteintes à la dignité des personnes et des crimes contre l’humanité qui ont repoussé la mesure du mal et du pouvoir de destruction des hommes. L’économie de marché en revanche n’est pas basée sur une idéologie. Elle prend les personnes humaines comme elles sont, avec leurs talents et leurs aspirations, mais aussi avec leurs faiblesses et leurs limites. L’économie libre respecte les initiatives personnelles, elle ne cherche pas à créer un homme nouveau ou à obtenir une race parfaite.
Le socialisme, en détruisant la propriété individuelle, soit de manière directe comme en Union soviétique, soit de manière indirecte dans des social-démocraties, par la fiscalité et des entraves légales à la libre entreprise, comme les monopoles publics, a montré qu’il est incapable de créer des richesses dans les mêmes quantités et en satisfaisant les besoins des hommes aussi bien que peut le faire une économie libre. D’un point de vue purement utilitariste, en se contentant d’observer les faits, il est évident qu’une économie entièrement socialisée, comme en Corée du Nord, est moins efficace pour créer, ne serait ce que des biens de base, qu’une économie qui fait une large place aux initiatives entrepreneuriales, comme Singapour ou la Nouvelle-Zélande.
Le pape Léon XIII, qui eut le courage d’aborder la « question ouvrière » au XIX e siècle et de lancer les réflexions modernes de la Doctrine sociale de l’Eglise dans son encyclique Rerum Novarum avait bien perçu que le socialisme réel serait un remède pire que le mal : « Les socialistes, pour guérir ce mal [l’injuste distribution des richesses et la misère des prolétaires], poussent les pauvres à être jaloux de ceux qui possèdent. Ils prétendent que toute propriété de biens privés doit être supprimée, que les biens de chacun doivent être communs à tous… Mais pareille théorie, loin d’être capable de mettre fin au conflit, ferait tort à l’ouvrier si elle était appliquée. D’ailleurs, elle est souverainement injuste, parce qu’ elle fait violence aux propriétaires légitimes, dénature les fonctions de l’Etat et bouleverse de fond en comble l’édifice social ». Le magistère a toujours compris et dénoncé les effets pervers du socialisme, tant pour ses conséquences sur l’économie et que sur l’ordre social.

C’est à saint Jean-Paul II que revient le mérite d’avoir expliqué dans Centesimun annus, à l’occasion du 100 e anniversaire de Rerum novarum, que le socialisme, avant d’être un système inefficace dans ses résultats matériels, est avant tout basé sur une falsification de la nature de l’homme : « l’erreur fondamentale du "socialisme" est de caractère anthropologique. En effet, il considère l’individu comme un simple élément, une molécule de l’organisme social, de sorte que le bien de chacun est tout entier subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social, tandis que, par ailleurs, il estime que ce même bien de l’individu peut être atteint hors de tout choix autonome de sa part, hors de sa seule et exclusive décision responsable devant le bien ou le mal. L’homme est ainsi réduit à un ensemble de relations sociales, et c’est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l’ordre social par cette décision. De cette conception erronée de la personne découlent la déformation du droit qui définit la sphère d’exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée. En effet, l’homme dépossédé de ce qu’il pourrait dire
"sien" et de la possibilité de gagner sa vie par ses initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux qui la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d’une authentique communauté humaine. » (Centesimun annus, 13).
Nous avons montré précédemment que l’homme a été voulu libre et créateur et que l’économie libre permettait aux entrepreneurs de répondre aux besoins des hommes. En cela l’économie libre est un bien pour la société. Peut-on en arriver à dire que l’économie libre sert le bien commun ?
Tenter de répondre à cette question nécessite de se pencher sur ce qu’est le bien commun et sur ce qu’il n’est pas. Les discours politiques sont saturés de formules convenues et a priori incontestables tels que « l’intérêt général », « le service public », « l’utilité publique », ou plus récemment « le développement durable »… Or ces concepts, utilisés à temps et à contretemps par des responsables politiques, n’ont comme contenu que ce que celui qui les utilise veut bien leur donner. Ils servent essentiellement à justifier les actions des hommes de l’Etat et leur emprise sur la vie des hommes. Ils ont surtout pour conséquence d’entraver des libertés
fondamentales, quoique non absolues, telles que la propriété privée ou le droit d’entreprendre.
Le bien commun n’est pas l’intérêt général

Dans le cadre de cet article, nous nous contenterons d’aborder la notion « d’intérêt général », qui ne doit pas être confondu avec le bien commun. Dans son Rapport public de 1999,
Réflexions sur l’intérêt général 1 , le Conseil d’Etat qualifie l’intérêt général de « finalité ultime de l’action publique », de « pierre angulaire de l’action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité », de « clef de voûte du droit public français ». A ces expressions aux connotations religieuses, le Conseil d’Etat ajoute qu’il reviendrait « à la loi, expression de la volonté générale, de définir l’intérêt général ». En ceci, le Conseil d’Etat s’inscrit dans la lignée de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. »
Mais existe-t-il un processus politique permettant d’exprimer une volonté générale ou de définir un intérêt général? Le concept d’intérêt général est une incantation permettant de justifier et de légitimer l’action des hommes de l’Etat. Les économistes connaissent bien les limites de l’intérêt général, expliquées avant la Révolution française par le marquis de Condorcet dans le paradoxe qui porte son nom. Ce paradoxe démontre que, dans certaines conditions, il ne peut pas y avoir de vainqueur indiscutable choisi par une majorité d’électeurs, et ce quel que soit le mode de scrutin. Le paradoxe de Condorcet montre également qu’un scrutin uninominal peut ne pas respecter les désirs des électeurs. Le candidat A peut être élu, alors qu’une majorité préfère les candidats B ou C. Par exemple, au niveau individuel, une personne qui préfère A à B et B à C préfère logiquement A à C. Pourtant au niveau collectif, A peut être préféré à B, B préféré à C… mais C préféré à A !
1 http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Reflexions-sur-l-
interet-general-Rapport-public-1999
Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie 1972 et membre de l’Académie pontificale des sciences sociales, a démontré l’impossibilité de définir un intérêt général à partir des préférences individuelles. Ces travaux, d’une importance capitale pour les sciences sociales, révèlent ce que ne peut pas être le « bien commun ». Il ne peut pas s’agir d’une agrégation de
préférences individuelles, ni de l’émanation d’une loi positive votée par des parlementaires.
Le bien commun ne doit jamais être confondu avec les invocations de « l’intérêt général ».
Lorsque le récent prix Nobel français Jean Tirole, parle d’Economie du bien commun, il s’agit en fait dans son esprit d’intérêt général, « la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. » 2 . A ses yeux l’intérêt général justifie les interventions étatiques dans l’économie. S’il est légitime que l’Etat puisse intervenir pour faire respecter les structures nécessaires à l’existence d’une économie libre, nous savons tous que l’Etat, quand il dépasse une certaine emprise sur la société et l’économie, ne peut plus servir le bien commun.
D’après les dernières données officielles de l’INSEE, « 141 500 personnes sont sans domicile en France métropolitaine » . Pourtant, en 2015 les administrations publiques françaises ont prélevé 1 042 milliards d’euros d’impôts et de cotisations et dépensé 1 242,8 milliards d’euros. Il est bien évident que si la France compte plus de 140 000 personnes sans domicile, ce n’est pas par manque de ressources, mais parce que les dépenses publiques ne sont pas attribuées aux plus nécessiteux, mais aux intérêts constitués qui savent le mieux invoquer « l’intérêt général » pour vivre de valeurs ajoutées créées par des entrepreneurs dont l’activité est de répondre aux besoins des hommes.
2 http://www.sudouest.fr/2016/05/11/ou-est-passe-le-bien-commun-se-demande-le-prix-nobel-d-economie-
2359142-710.php

3 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1455
Il existe pourtant un bien commun
La notion de bien commun est explicitement mentionnée dans le magistère de l’Eglise, à de nombreuses reprises. Saint Jean XXIII a défini le bien commun dans Mater et Magistra comme « l’ensemble des conditions de vie en société qui permettent à l’homme d’atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus aisée » (Mater et Magistra, 43). La constitution pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II donne une définition plus large du bien commun, qui dépasse le niveau de la personne :
« cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Gaudium et spes, 26, 1).
Cette définition évoque des « conditions sociales », qui permettent d’atteindre une « perfection ». Alors que le Conseil d’Etat parle de « l’intérêt général » comme de la « finalité ultime de l’action publique », le magistère de l’Eglise parle du « bien commun », qui vise, pour des groupes et chacun de leurs membres, une perfection. La perfection pour un chrétien est expliquée par saint Paul : « nous devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège et courir avec constance l’épreuve qui nous est proposée, fixant nos yeux sur le chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus » (He 12, 1-2).
La constitution Lumen Gentium du Concile Vatican II mentionne l’Eglise qui « trouvera dans le Christ sa définitive perfection » (Lumen Gentium, 48). Alors que pour des hommes de l’Etat, un prétendu « intérêt général » est la « pierre angulaire de l’action publique », pour le magistère, le « bien commun » est un ensemble de conditions sociales menant à Jésus Christ, notre unique Sauveur.
Quelles sont les conditions sociales qui permettent d’atteindre le bien commun ?

De la bouche de Jésus lui-même, « il n’y a de bon que Dieu seul » (Lc, 18, 19). Si le seul vrai Bien est Dieu, il n’existe pas sur terre d’ordre économique, social ou politique qui constitue un Bien absolu. Les régimes ayant sacralisé l’Etat, une classe sociale ou un groupe social ont été tyranniques. Le bien est un but vers lequel il faut tendre, duquel on peut toujours se rapprocher, sans jamais pouvoir prétendre l’avoir atteint. Le Décalogue fixe des bornes négatives à ne pas franchir, pour rester dans le respect de Dieu et du prochain, mais il ne fixe pas de limites positives. Voler autrui brise inéluctablement la relation économique et sociale avec lui, même si le pardon reste possible, alors qu’il n’y a pas de limite dans l’amour et le bien à porter à l’autre. De même à l’échelle d’une société, certaines structures sociales sont toujours et nécessairement mauvaises, alors qu’il n’y a pas de limite positive à des conditions socialement bonnes. Les structures socialement mauvaises ont été maintes fois citées par saint Jean-Paul II lorsqu’il évoquait les « structures de péchés ». Après avoir rappelé que les structures de péchés sont « l’expression et l’effet des péchés personnels », Jean-Paul II affirme que « l’interdépendance des systèmes sociaux, économiques et politiques, crée dans le monde
d’aujourd’hui de multiples structures de péché » (Audience Générale du 25 août 1999). Les régimes légalisant, encourageant, voire finançant des atteintes graves contre nature humaine, par exemple contre la famille, sont des structures de péché. Dans le domaine économique également, les Etats peuvent introduire des structures de péché. C’est le cas lorsqu’il est porté atteinte à la propriété privée ou au libre-échange entre les hommes. C’est également le cas, de manière plus subtile, lorsque la fiscalité devient spoliatrice, qu’un individu se fait prélever par l’Etat plus de 80% de la valeur ajoutée dont il est l’auteur. C’est encore le cas lorsque l’Etat interdit par la contrainte l’existence d’une libre entreprise légitime, parexemple  la production de monnaies privées et introduit une monnaie étatique ayant un cours légal et forcé. Cela permet à l’Etat de créer artificiellement une masse monétaire pour financer des dépenses publiques, mais l’inflation qui en résultera toujours détruit le pouvoir d’achat des épargnants, ce qui constitue objectivement un vol.
Nous ne pouvons pas développer ici toutes les conditions économiques nécessaires à l’existence du bien commun. La définition de ces conditions ne peut d’ailleurs pas être figée et exhaustive, puisqu’elle dépend de l’évolution de la société. Nous nous contenterons donc d’aborder deux libertés économiques fondamentales, consubstantielles à l’existence du bien commun : la fiscalité et la liberté monétaire.
1. La propriété privée doit être protégée d’une fiscalité spoliatrice.

Le magistère de l’Eglise a toujours reconnu la légitimité de la propriété privée. « Ce n’est pas des lois humaines, mais de la nature qu’émane le droit de propriété individuelle. L’autorité publique ne peut donc l’abolir » (Rerum Novarum, 35). La propriété privée n’est cependant pas un absolu, elle s’accompagne de la destinée universelle des biens et de l’option préférentielle pour les pauvres. « [L’autorité publique] peut seulement en tempérer l’usage et le concilier avec le bien commun » (Rerum Novarum, 35).
Depuis la chute du Mur de Berlin et la faillite des économies communistes, le « socialisme réel » basé sur l’interdiction de toute forme de propriété privée n’est plus pratiquement ni moralement défendable. En revanche les entraves à la propriété privée prennent d’autres formes, notamment la fiscalité. Quand elle devient confiscatoire, la fiscalité n’a plus de justification économique et porte des fruits délétères pour l’économie et la société. En France, les recettes des administrations publiques représentaient 53,5% du PIB en 2015 4 , c’est-à-dire que plus de la moitié de la valeur ajoutée créée par des acteurs économiques en France est prélevée par l’Etat. La fiscalité touche notamment le capital, ce qui constitue un non-sens et remet en cause la notion de propriété privée. Ainsi on peut se demander si le propriétaire d’une maison qui doit s’acquitter chaque année d’une taxe foncière en est le réel propriétaire.
Il n’est en fin de compte que propriétaire de ce que l’Etat consent à ne pas lui prendre. La taxe à 75%, qui devait s’appliquer sur les revenus supérieurs à un million d’euros, n’aura duré que deux ans. Cette taxe n’avait aucune justification économique et son rendement était faible (500 millions d’euros, soit environ 1/2000 e des recettes de l’Etat), mais répondait à un affichage politique, elle privait les riches de leur argent, non pas pour mettre fin à la pauvreté mais pour stigmatiser les riches et donner l’impression que le plus grand nombre pouvait enprofiter. Les Souverains pontifes, déjà avant l’existence d’Etats communistes et de social- démocraties, ont mis en garde les Etats contre les effets délétères d’une fiscalité excessive.
« [L’autorité publique] agit donc contre la justice et l’humanité quand, sous le nom d’impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers » (Rerum Novarum, 35). Près d’un siècle avant que l’économiste américain Arthur Laffer ne conceptualise sa célèbre courbe qui illustre que « trop d’impôt tue l’impôt », le pape Léon XIII écrivait déjà qu’« il ne faut pas que la propriété privée soit épuisée par un excès de charges et d’impôts » (Rerum Novarum, 35).

4 https://data.oecd.org/fr/gga/recettes-des-administrations-publiques.htm#indicator-chart
Plus tard, Pie XII complétait : « souvent des impositions trop lourdes oppriment l’initiative privée, freinent le développement de l’industrie et du commerce, découragent les bonnes volontés » (Discours aux participants du X e congrès de l’Association internationale de droit financier et fiscal, 2 octobre 1956). Ce pape rappellera ce que peut ou non faire l’Etat en matière de fiscalité pour respecter le bien commun : « Aucun doute ne subsiste sur le devoir de chaque citoyen à supporter une part des dépenses publiques. Mais l’État de son côté, en tant que chargé de protéger et de promouvoir le bien commun des citoyens, a l’obligation de ne répartir entre ceux-ci que des charges nécessaires et proportionnées à leurs ressources.
L’impôt ne peut donc jamais devenir pour les pouvoirs publics un moyen commode de combler le déficit provoqué par une administration imprévoyante, de favoriser une industrie ou une branche de commerce aux dépens d’une autre également utile. L’État s’interdira tout gaspillage des deniers publics » (idem).
Avec une fiscalité non confiscatoire, la monnaie est également une des conditions économiques nécessaires à l’existence du bien commun. La question monétaire est quasiment absente du Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, la monnaie n’y est citée qu’une seule fois « [L’activité économique] suppose, au contraire, que soient assurées les garanties des libertés individuelles et de la propriété, sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces » (Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, 352). Il nous faut voir que la question monétaire, à ce jour presque totalement absente de la doctrine sociale de l’Eglise, mérite une attention approfondie, car elle conditionne l’existence même de la propriété privée.
2. La liberté monétaire, condition de la liberté économique.

En dehors du troc, la moitié de chaque échange se fait en contrepartie de monnaie. Un bien ou un service est échangé contre une certaine somme de monnaie. Comme pour la plupart des biens et services, la valeur d’une monnaie dépend de sa rareté relative. A l’époque où la monnaie reposait sur des volumes de métaux précieux, comme des pièces ou des lingots d’or, la quantité de monnaie dans le monde était finie, car limitée par la quantité physique d’or présente sur terre. Les monnaies contemporaines, qui n’ont plus aucun bien physique comme contrepartie, sont contrôlées par des banques centrales monopolistiques qui remettent en cause la liberté économique. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Pour subvenir à ses
besoins financiers, un Etat a deux solutions : l’impôt ou l’emprunt. L’impôt a une double limite, politique et pratique. L’impôt est, comme son nom d’indique, imposé, il est impopulaire et peut engendrer des sanctions électorales et des exils fiscaux. Comme nous l’avons vu précédemment, l’impôt est également contreproductif au-delà d’un certain taux d’imposition, trop d’impôt tue l’impôt. L’Etat peut également avoir recours à l’emprunt, mais avec une monnaie reposant sur des biens physiques, la capacité d’endettement des Etats est limitée par la confiance des créanciers dans leurs capacités de remboursement. Les social-démocraties modernes ont donc inventé une nouvelle manière de financer leurs projets en contournant l’impôt et l’emprunt : créer ex nihilo la monnaie nécessaire à leurs dépenses.
Une banque centrale, en contrôlant l’émission d’une monnaie, détermine sa valeur, c’est-à-dire son pouvoir d’achat. En augmentant la quantité de monnaie en circulation, une banque centrale crée de l’inflation, qui est une destruction du pouvoir d’achat de la monnaie. Si les social-démocraties ne font pas faillite, en dépit d’endettements considérables (souvent supérieurs à 100% du PIB), c’est parce que les banques centrales peuvent créer de la monnaie sans limite physique, l’essentiel de la masse monétaire étant désormais des octets dans des ordinateurs. Dans un tel système, sans liberté monétaire permettant de proposer des monnaies qui conservent, voire augmentent leur pouvoir d’achat, les acteurs économiques ne peuvent pas se prémunir contre l’inflation qui détruit leur épargne et leur capacité d’investir pour l’avenir. Les déficits publics structurels, rendus possibles par la capacité des Etats de « créer » de la monnaie, sont consubstantiels à l’existence de social-démocraties. Ils sont nécessairement confiscatoires et destructeurs de richesses car ils deviendront tôt ou tard des impôts ou de l’inflation. La survie financière des social-démocraties repose sur la capacité des Etats à s’autofinancer par la création monétaire. Pour ce faire, l’Etat doit monopoliser la création monétaire, rendre illégale toute concurrence et empêcher par tous les moyens les acteurs économiques de se constituer une épargne sûre. Les monnaies étatiques monopolistiques sont tout simplement une entrave au droit de propriété puisque l’inflation qui en résulte vole le pouvoir d’achat des épargnants et complexifie les investissements, pourtant indispensables au développement économique et à l’amélioration des conditions de vie.
Pour l’existence d’une véritable liberté économique et la protection des droits de propriété, il est indispensable d’avoir une liberté monétaire.
Conclusion
Le chemin parcouru nous montre que pour exister le bien commun a besoin de libertés économiques. Ces libertés économiques sont créatrices de richesses, elles sont conformes à la nature et à la vocation de la personne humaine, appelée à être créatrice et à développer sa personnalité par son travail. Le développement économique n’est évidemment pas une fin en soi et l’homme peut abuser de sa liberté, comme au jardin d’Eden et commettre le mal. Mais la quête du bien et sa réalisation ne peuvent se faire que dans la liberté que Dieu a donnée à l’homme. Dans la Genèse, la liberté donnée à l’homme était considérable, mais pas illimitée.
Elle s’arrêtait devant « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». C’est dans cette acceptation et ce respect que l’homme pouvait se réaliser pleinement. Notre liberté humaine, toujours fragile, a besoin d’être libérée par le Christ d’un amour désordonné et égoïste. Seul le Christ peut nous conduire vers notre vraie liberté, qui trouve sa perfection dans le don de soi

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