SURNOR Aconit 1976

vendredi 27 mai 2011
par  webmestre1
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Mission « SURNOR » - 1976
à bord de la Corvette ACONIT

Des origines de «  Surnor » :
Les Convois de l’Atlantique de 1940 à 1943
par les officiers de marine Socrate Pétrochilo et Philippe de Gaulle

Pour comprendre les origines des missions « Surnor » il faut remonter à la Seconde Guerre Mondiale et revenir sur les premières heures embarquées du jeune Philippe De Gaulle. Il rallie l’Angleterre le 18 juin 1940 et sert comme matelot sans spécialité, comme pompier auxilliaire puis embarque en septembre 1940 sur le Cuirassé Courbet basé à Portsmouth après la débâcle de Cherbourg. Il est admis à la 2° session des cours de l’Ecole Navale FNFL d’avril 1941 à octobre 1941 à bord du Président Théodore Tissier, navire océanographique avec ses annexes : les goélettes : l’Etoile et la Belle Poule. Il a alors 19 ans. Il est ensuite affecté sur la corvette Roselys (corvette identique à la corvette Aconit qui coula 2 U-Boots le 11 mars 1943 au cours d’un des 116 convois qu’elle escorta dans l’Atlantique Nord de 1941 à 1944). Socrate Pétrochilo est alors officier en second de la « Roselys ». Les deux hommes participent ainsi à la bataille de l’Atlantique et aux convois de Mourmansk. Philippe De Gaulle est ensuite affecté sur le Chasseur II puis à la 23° Flottille de Motor Torpedo Boat (MTB) sur le MTB 96.

MTB de GAULLE
SURNOR Aconit 1976 MTB de GAULLE

(photo 1)
Il assure 20 patrouilles en Manche dont 3 engagements avec l’ennemi de septembre 1942 à septembre 1943. Il croise de nouveau l’Enseigne de Vaisseau de 1° classe Pétrochilo embarqué sur le torpilleur la Combattante et effectuant lui aussi des patrouilles en Manche et en Mer du Nord avec 3 engagements avec l’ennemi. Ces événements ont marqué l’histoire de la Marine Française et justifieront plusieurs dizaines années plus tard de l’importance des exercices et des opérations de la Flotte en mer de Norvège. Dès 1976 commencent les missions « Surnor ».

Mission Surnor : 09 février – 11 mars 1976.

Aconit

(photo 2)

Le lundi 09 février 1976 dès la levée des couleurs à l’Escadre, l’amiral et préfet de la II° Région Maritime fait reconnaître le vice-amiral Philippe De Gaulle comme nouveau commandant de l’Escadre de l’Atlantique en remplacement du vice-amiral d’escadre Socrate Pétrochilo, appelé comme Président de la commission permanente des essais des bâtiments de la Flotte. Les deux hommes se connaissent bien et s’apprécient. Ils ont en effet participé ensemble à la Bataille de l’Atlantique Nord et des convois de Mourmansk.

Après cette cérémonie, la mission SURNOR 1 commence. Le navire amiral, le croiseur lance –missiles - de luttes anti-aérienne et sous-marine « Colbert » et les deux bâtiments de lutte anti-sous-marine : la frégate « Tourville » et la corvette « Aconit » portant la marque FNFL, appareillent à 10h sous un ciel radieux et par temps calme pour une campagne en mer de Norvège de 30 jours avec escales à Trondheim en Norvège, Hambourg en Allemagne Fédérale et Amsterdam aux Pays-Bas

SURNOR Aconit 197 Carte Mission
SURNOR Aconit 197 Carte Mission

(photo 3).

L’escadre doit rejoindre très rapidement la « route » des convois de Mourmansk en contournant l’Irlande par l’ouest pour rallier la côte est de l’Islande, remonter au large de l’île Jan Mayen puis stationner au delà du Cap Nord au nord de la Norvège. Cette mission dans la mer de Norvège doit permettre de détecter la présence de sous-marins et amener les trois bâtiments dans les growlers.
Le pétrolier-ravitailleur d’escadre « la Saône » doit appareiller le 14 février et attendre les trois bâtiments au nord des îles Föroyar lors de leur montée vers Jan Mayen.

A bord de « l’Aconit » tout va pour le mieux : Le commandement et l’équipage sont déterminés à faire de ce tout nouveau bâtiment, récemment admis au service actif, un élément fiable et un des symboles de modernité de l’Escadre de l’Atlantique.

Mais au cours des vacances de Nöel précédentes, un événement insolite vient perturber l’organisation du bord : le commandant en second a fait une chute de ski et s’est fracturé les deux os de la jambe droite. Après un mois de convalescence avec plâtre complet du membre inférieur droit, il revient à bord avec un plâtre de marche pour préparer la mission en attendant l’affectation de son remplaçant. Malgré la situation, le commandant souhaite conserver son second et me fait part de son intention.
Après enquête radio-clinique et entretien avec l’état-major du navire, nous décidons de garder notre commandant en second à bord pour l’ensemble de la mission. Un groupe de matelots veillera à sa sécurité lors de tous ses déplacements. La Préfecture Maritime, le vice-amiral d’escadre Pétrochilo et le Service de Santé comprennent la nécessité de la présence du commandant en second pour conserver la cohésion à bord. Elle s’avère en effet indispensable à la réussite d’une campagne, même si celle-ci ne dure que 30 jours.

La première journée en mer se passe normalement. Cap à l’ouest pendant 12 heures. Ensuite cap au nord-ouest pour contourner l’Irlande.

Le lendemain matin, un matelot se présente à l’infirmerie avec une fièvre à 39°C, une asthénie, des courbatures et une toux rauque. A l’auscultation, je note quelques râles bronchiques. Je l’admets à l’infirmerie et instaure une antibiothérapie IM. Sa prise de température montre le « V grippal » caractéristique en 24 heures. Au troisième jour, très tôt dans la matinée, deux autres matelots du même poste se présentent. Il ne fait aucun doute. La grippe va faire la mission SURNOR !

J’informe le Commandant en second puis le Commandant. C’est mon second embarquement et une telle situation m’est encore inconnue. Nous sommes 128 membres d’équipage et nous allons sûrement tous avoir la grippe. Pourtant, le bâtiment doit continuer sa mission.
Le maître-infirmier ré-évalue nos réserves en antibiotiques et fébrifuges et je demande au maître-commis l’état de ses réserves de rhum. Il faudra bien s’adapter pour soigner les hommes par quelques moyens que ce soit. Assurer la sécurité du bâtiment, maintenir les entraînements de sécurité et de combat ou tout simplement continuer une vie normale à bord sont impératifs. L’équipage doit rester performant pour maintenir la veille anti-sous-marine et de surface. En effet, nous sommes en pleine Guerre Froide et la mer de Norvège est fréquentée par de nombreux bâtiments de surface mais surtout par des sous-marins nucléaires US, Soviétiques et même Britanniques et Français.

Je préconise alors trois consultations quotidiennes : 07h30 et 17h00 avant les deux quarts principaux de la journée et une consultation vers 20h00 avant les veilles de nuit. Je recommande aussi que tout marin ayant moins de 39°C fasse son quart. En même temps, je m’assure que tout marin consultant ne puisse échapper au suppositoire d’eucalyptus « sous l’œil » du maître-infirmier. Enfin, en plus du comprimé de vitamine C, un grog matin et soir est imposé à chacun par « ordonnance ». L’équipage hors-quart se presse régulièrement à l’infirmerie durant les cinq jours de l’épidémie.

Ce fut un succès thérapeutique. Seul, le premier malade dut poursuivre l’antibiothérapie per os sept jours durant, avec un grog en complément. En une semaine, tout était rentré dans l’ordre, c’est-à-dire qu’il n’y eut plus aucun matelot ayant plus de 39° de température. L’équipage était de nouveau totalement opérationnel pour les quarts et les entraînements bi-quotidiens et la vie à bord reprit son cours normal. Au plus fort de l’épidémie seulement dix à douze matelots furent exempts pendant 24 heures.

En remontant vers le nord-ouest puis le nord, nous entrâmes rapidement en mer de Norvège. Neptune nous attendait et en plus de l’épidémie de grippe en cours, nous dûmes affronter les tempêtes et le froid hivernal. Les vagues nous secouaient comme un vulgaire bouchon et le navire roulait, tanguait, tossait, vibrait tandis que les barres anti-roulis malmenées grognaient et grinçaient.

A l’approche du Cercle Polaire, en pleine tempête, l’activité du bord se modifia. Dans l’après-midi du 13 février, le maître-commis me demanda de passer aux cuisines. Ce n’était pas la Chandeleur mais le commis faisait préparer un repas amélioré. Je trouvais le menu extrêmement correct, mais je sentais un léger malaise. En effet, au cours de la discussion, le commis me présenta une mixture préparée par le « comité de passage de la ligne » : le Cercle Polaire en l’occurrence. Je devais la goûter et donner mon avis car elle devait être servie aux néophytes passant « la ligne ». C’était très huileux et presque visqueux. C’était piquant et désagréable avec une odeur âcre me rappelant l’huile de foie de morue de mon enfance. En bonne connaissance de la destinée du breuvage, je donnais mon avis : « Buvable, consommable, suffisant mais ragoûtant  ».

Le soir, à partir de 18 heures, nous avions rendez-vous avec Frigolus « Empereur des Mers Arctiques » accompagnée de Frigola son épouse. Le protocole très « strict » de la cérémonie de passage du Cercle Polaire commença. En tant qu’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé n’ayant pas franchi le Cercle Polaire, je dus récupérer avec les dents la liste des néophytes dans la boîte aux lettres du vaguemestre qui n’était autre que son entre-fesse. Je franchis alors une ligne tracée sur le sol et je la remis à Frigolus. Sous les yeux de l’équipage amusé et déjà aguerri, et en remerciement, Frigolus me donna à boire jusqu’à la dernière goutte une louche du fameux breuvage « Ainsi, dit-il, à chacun des néophytes, vous serez protégés des rigueurs de mon empire HIVER ». Une rasade de cambusard facilita ensuite la digestion de la mixture -

Frigolus
SURNOR Aconit 1976 Frigolus

(photo 4).

A l’issue du baptême des soixante-quinze néophytes de tout grade, exemptés de service, le commis fit servir à tout l’équipage : homard, foie gras, tournedos et vins fins. Aux matelots de service, le commandant accorda « la double par tiers de quart » de nuit sous forme d’un bon grog pour les réchauffer un peu.
Le lendemain matin au quart de 08h00, le rythme des activités de sécurité et de combat reprit. On vit apparaître quelques matelots fatigués tant la mixture était épaisse et indigeste.
Par cinq fois ensuite nous franchirons le Cercle Polaire sans bien sûr renouveler les festivités.

En approchant de Jan Mayen, des glaces flottantes apparurent (growlers) et la longue houle alourdie de la mer fit son apparition. En même temps le pont et les superstructures se recouvraient d’une épaisse couche de givre. Pour éviter un alourdissement du navire, tous les matins, les « boscos » nettoyaient le pont avec des lances d’eau chaude. Cela dura quatre jours et le pont fumant, la mer calme et les brumes lourdes donnaient une impression d’irréel qu’avaient sans doute connu les premiers explorateurs. Nous progressions au radar, mais eux avaient du avancer lentement à la corne de brume et à la veille extérieure. Dans le nord-est de l’île Jan Mayen nous fîmes la jonction avec le « Colbert » et le « Tourville ».

Nous sommes ensuite descendus vers les îles Föroyar pour retrouver le pétrolier-ravitailleur. La mer s’étant calmée, un exercice de ravitaillement en mazout et en divers fut organisé au profit du « Colbert » et de « l’Aconit ». Après une nouvelle remontée symbolique au-delà du Cercle polaire pour le pétrolier-ravitailleur, les quatre bâtiments firent une escale du 20 au 23 février. Le « Colbert », le « Tourville » et le ravitailleur à Bergen pendant que « l’Aconit » remontait le fjord jusqu’à Trondheim. Le ski de fond et les sports d’hiver permirent à l’équipage de se détendre tandis que le Commandant en second restait consigné à bord. Une seule sortie accompagnée de deux matelots lui fut autorisée. Nous devions le ramener à Brest en forme et au mieux, fracture consolidée. Par un temps froid, sec et ensoleillé, j’enregistrai aucune pathologie et pas d’entorse ni de coup de froid -

Trondheim
SURNOR Aconit 1976 Trondheim

(photo 5).

A l’issue de cette escale nous reprîmes la mer et dès la sortie du fjord, nous fûmes accueillis par une nouvelle tempête bien établie avec des vents à plus de 75 nœuds. La houle géante et les vagues déferlantes nous « attendaient » au large. Le bâtiment, navigant face à la vague, tanguait, tossait et roulait. Les vagues se cassaient sur le pont avant et rebondissaient sur la passerelle dans un bruit assourdissant. Le bâtiment souffrait dans toutes ses membrures et gémissait sous les coups de butoir. Une suite de vagues déferlantes plus importantes, estimées à 13 mètres de haut selon les officiers de pont, s’écrasèrent sur l’aileron de veille avant-bâbord qu’elles froissèrent sans le casser -

Aileron Babord

(photo 5).

Pendant ce temps, le matelot-hôtel du carré des officiers subalternes, de repos dans sa bannette, au 3° niveau de lits superposés, dans le poste équipage avant, fut projeté au sol durant une association de roulis et tangage et se fracturait le condyle mandibulaire droit. Le matelot avait décollé de son couchage lors de la descente de l’avant du navire dans le creux d’une vague et lors de la remontée, avec le roulis associé, il était passé par-dessus de la barre anti-roulis de son lit. Nous avions quitté Trondheim depuis la veille et notre prochaine escale serait dans cinq jours. Nous remontions vers le Cap Nord pour aborder l’entrée de Mourmansk. Un examen lent et soigneux me rassura. Le matelot pouvait ouvrir la bouche et le décalage osseux ressenti paraissait minime. Des antalgiques et du courage lui permirent de supporter son malheur.

Mais Frigolus, quand tu nous tiens, tu ne nous lâches pas !

Dans le même temps, au plus fort de cette tempête, un nouvel incident survint. Vers 10 heures du matin, la « machine » s’arrêta et le bâtiment filant uniquement sur son aire devint progressivement ingouvernable. Au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient, le navire pivotait peu à peu vers bâbord et roulait de plus en plus. Tout l’équipage placé au poste de combat retenait son souffle dans l’attente d’un ordre. Au bout de trente minutes nous approchions des quinze degrés de la ligne de vagues et le bâtiment roulait bord sur bord.
Soudain un ordre retentit dans tout le bord : « Machines en avant toute et barre à tribord 15 » annonçait le commandant. Les mécaniciens avaient relancé les machines et le bâtiment reprit peu à peu sa route. Avions-nous eu peur de rouler puis de sombrer ? Je ne peux le dire ! Le commandant et l’officier de quart l’avaient sans doute craint. L’officier des Transmissions avait adressé un message d’avarie machine au « Colbert ». Celui-ci se déroutait vers nous. A la relance des moteurs, l’escadre reprit sa route vers le Cap Nord que nous atteignîmes le 25 février sous un ciel pur et un « petit soleil » très bas sur l’horizon à midi. La mer appesantie par les blocs de glace était redevenue calme.

En restant au large du Cap Nord dans les eaux internationales, nous mîmes à l’eau notre sonar remorqué : le DUBV 43 pouvant descendre jusqu’à 100 mètres, à la recherche de sous-marins soviétiques en transit ou de sous-marins US ou britanniques en attente. Nous restâmes 24 heures sur zone en silence radio et sonar, à très faible vitesse, en logeant au plus près les glaces, avec tous les capteurs et enregistreurs en marche. Tout serait exploité et décodé dès notre retour à Brest. Pour nous tout paraissait calme.

Le 27 février, très tôt le matin, dans la nuit polaire, nous reprîmes un cap à l’ouest puis au sud à vitesse moyenne : 20 nœuds et accostèrent à Hambourg à 08h le 01 mars. Les escales à Hambourg du 01 au 04 mars et à Amsterdam du 05 au 09 mars se passèrent sans traumatologie et ne furent pas suivies de pathologie infectieuse. Les visites des quartiers se firent calmement et les matelots retinrent les conseils d’hygiène prodigués.

À Hambourg, notre matelot-hôtel passa une radiographie de contrôle à l’hôpital militaire. Le faible déplacement osseux mandibulaire et l’aspect engrené du foyer fracturaire ne nécessitaient pas d’intervention immédiate et le matelot resta à bord. Par ailleurs, je me dessaisis de mon stock de pénicilline au profit du « Colbert » et de « la Saône » et surtout je déplâtrais notre commandant en second qui pût reprendre une activité normale. De Hambourg nous fîmes une visite dans les environs de Lübeck et de la frontière est-allemande organisée par la Kriegsmarine. En uniforme, il nous était vivement recommandé de ne pas trop nous approcher de la frontière afin de ne pas provoquer les Vopos.

Notre retour après l’escale d’Amsterdam se fit par le rail descendant de la Manche et nous rentrâmes en escadre à Brest. Cette première mission – Surnor – ou - les convois de l’Atlantique Nord, fut un succès pour l’Escadre en général et « l’Aconit » en particulier.
« L’Aconit » ramenait un équipage en bonne santé, entraîné à la lutte anti-sous-marine et au maintien opérationnel du bâtiment, malgré une épidémie de grippe et des traumatismes mineurs survenus au cours des tempêtes.
Notre commandant en second était totalement rétabli avec une fracture tibio-péronière bien consolidée.
Le navire était légèrement endommagé mais toujours opérationnel.

En somme une sortie en mer normale avec son lot de maladies, d’accidents et de pannes. L’épidémie de grippe n’apparut pas sur les registres d’infirmerie car le traitement instauré était trop atypique.

Les missions - Surnor - se reproduiront ensuite chaque année pour aguerrir les équipages au froid extrême. En complément de « Surnor », la Marine Nationale instaurera plus tard les missions « Okoumé », l’été dans le golfe de Guinée.


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